Samedi 20 Juin: debout à 6h30, nous quittons Rodney bay au moteur , aidés par une brise forcémment souffreteuse sous le vent de cette île montagneuse. Le somptueux spectacle de cette nature verdoyante défile sous nos yeux pendant 2 bonnes heures avant que nous ne retrouvions un alizé d'une vingtaine de noeuds à l'extrémité sud de l'île. Bonne surprise, c'est plein Est, et nous avalons le canal de 25 milles à presque 10 nds, sous grand' voile et génois ( la paresse de sortir l'artimon que je camoufle en disant que c'est de la prudence....); encore un coup de moteur dans le dévent de St Vincent, puis Bequia apparaît sous un ciel tourmenté, noir avec des rideaux de pluie peu engageants devant nous. Un ris est pris dans la grand'voile en sécurité, et tout se passe bien. Arrivés dans la baie de l'amirauté vers 18h, nous sommes accueillis très cordialement par l'annexe venue à notre rencontre de nos amis Serge et Bettina, ainsi que Céline et Alain, rencontrés en Guyane et qui voyagent avec leurs 5 enfants. Embrassades, joie de se retrouver, tout le monde se réunit dans le carré du Catafjord pour un convivial apéro/diner improvisé à 12 personnes; magie des rencontres de voyage.... Bequia possède, à nos yeux, un charme particulier; c'est véritablement un pays de bateaux et de marins, avec des traditions maritimes encore bien vivantes parmi les habitants d'aujourd'hui, descendants des premiers colons et des équipages de chasse à la baleine.

Lundi 22 Juin; une bonne journée! le thé d'"au revoir" est pris en compagnie de Bettina et Serge avant de lever l'ancre à 11h30 en direction de Carriacou ( 40 milles dans le sud-ouest ); alizé sympa d'environ 17 nds; malgré un ris dans la GV, nous filons encore plus de 9 nds; carènes propres et vent de travers, c'est un régal de naviguer ainsi. Malou mitonne un bon petit repas que nous prenons ensemble à la table du carré, surveillant les alentours à travers nos vitrages neufs: quel confort! sa sieste sur la banquette arrière du cockpit est interrompue par mes cris: "poisson! poisson!"; s'en suit un beau travail d'équipe: c'est elle qui a eu l'optimisme de mouiller la ligne de pêche vers midi, et ça vient de mordre.....partage des tâches et du plaisir: j'enfile les gants de cuirs pour remonter la ligne, car l'autre, au bout, c'est un bagarreur; pas très grand, mais bien teigneux; le canote file plus de huit nds, et la remontée à bord de la prise me prends plusieurs minutes; c'est un petit barracuda de 0m70 qui s'est presque complètement arraché la machoire dans la bagarre; Malou lui verse quelques centilitres de rhum dans les ouïes pour l'achever, mais elle a vu un peu grand, et comme il en reste dans le verre, je le finis; du "Père Labat" à 59°c....c'est bon pour la digestion....puis elle le nettoie, cependant que je reprends la conduite du navire; un travail d'équipe que je vous dis. L'ennui, c'est que le barracuda est un prédateur d'éspèces de poissons qui se nourissent dans le corail; et, par ici, le corail est infecté par la ciguatera, infection paralysante.....Aussi, sitôt arrivés à Tyrell bay sur Carriacou, nous nous rendons à terre pour pratiquer le test: nous avons conservé la tête de la bestiole; posée dans l'herbe, les fourmis arrivent dessus; bingo! on va se régaler! si les fourmis l'avaient boudé, valait mieux bouffer du corned-beef......en plus, intrigué par notre manège, un pêcheur local vient nous faire la causette et nous rassure tout à fait sur la comestibilité du bazar. D'ailleurs, en observant les pêcheurs à la ligne que nous croisons souvent , en mer, le long des côtes, je me faisais la reflexion qu'ils sont rarement gras ces types là; même, ils sont en général plutôt maigres; eh bien, la raison en est qu'ils passent leur temps à surveiller leurs lignes! Sinon, là maintenant tout de suite, j'écris en sirotant ma petite mousse qui n'est pas une Killian, alors que Malou prépare le barracuda "à la tahitienne", cuit dans du jus de citron et du lait de coco.....un délice!

Mardi 23: nous nous rendons à Hillsborough en minibus pour faire les formalités d'entrée, et c'est là que nous faisons la connaissance de Robert et Danièle, un couple de canadiens qui font leur boucle en 4 ans à bord de leur cata de 12 mètres: "Chocobo"; nous faisons connaissance au cours d'une sympathique soirée à bord du Catafjord; ils font à peu près le même trajet que nous, donc nous sommes amenés à nous revoir. Nous aimons bien Carriacou; c'est une île assez petite et sensiblement moins développée que plusieurs autres; ainsi, ses habitants en ont un peu mieux préservé leurs coutumes et croyances, et sont plutôt moins empréssés qu'ailleurs à extorquer des dollars aux "touristes"

Durant la traversée de 30 milles Carriacou / Grenade, Malou, dans sa frénésie à vouloir capturer le prochain repas avec sa ligne de pêche, s'est retrouvée avec un oiseau de mer au bout d'icelle; un beau puffin avec son bec acéré de 10 cm de long et ses pattes palmées s'est malencontreusement embroché le thorax dans notre hameçon à 2 dardillons; il faisait le cerf-volant à 20 mètres de haut quand elle a décidé de réduire son rayon d'action pour lui venir en aide; bonjour la croix-rouge! d'abord, ramener la ligne à bord; mètre après mètre, en se protégeant les mains avec les gants de manutention,; au bout d'un certain temps, la bestiole, passablement épuisée et ébouriffée s'est retrouvée sur le pont arrière du canote, toujours "épinglée" par la poitrine où s'étaient fichées les 2 pointes de l'hameçon. Obligés de sortir un couteau de cuisine et de lui tailler dans la barbaque pour le libérer, tandis que Malou lui tenait le bec; suite à cette chirurgie charcutière, je ne donnais pas cher de ses plumes; je dirais même que je ne le voyais pas passer l'apéro......eh bien que nenni! Malou l'a cajolé, assisté, hydraté, pendant les heures suivantes, tant et si bien, qu'aujourd'hui vendredi, après une trentaine d'heures de convalescence passées dans la jupe arrière babord du Catafjord, Jonathan s'est fait la paire sans demander son reste et sans un "couac" de remerciement pour sa nounou salvatrice! C'est fou ça! c'est pourquoi je dis: le puffin, c'est pas fin, pis c'est ingrat en plus.

26 juin: anniversaire de notre départ; 2 ans que nous avons quitté le quai oblique à St Nazaire pour nous lancer dans cette vie de vagabond des mers; aujourd'hui, nous sommes à St Georges, capitale de la Grenade; c'est une chouette ville! Grenade est surnommée "spice island" ( l'île aux épices; attention à l'orthographe: c'est pas "l'île ôse et pisse"); le marché abrite une multitude d'échoppes rivalisant de talents commerciaux pour fourguer leur grande diversité de condiments. Les étals, rudimentaires assemblages de planches clouées et abritées sous des bâches ou de la tôle ondulée, sont cependant fort attirants tant les produits sont présentés jolimment. La ville est construite autour d'un bassin appellé "carénage", entièrement bordé de quais à fleur d'eau comme beaucoup de ports de Méditérranée. Elle recèle de nombreuses demeures anciennes, pas toutes de même style, mais dont plusieurs sont superbes, voisinnant parfois avec des ruines ou des terrains vagues. C'est éxotique et bigarré, avec une forte connotation africaine; les gens sont facilement souriants et souvent aimables. Les minibus, moyen de transport principal, sillonnent la ville et tout le pays; le chauffeur est secondé dans sa tâche par un "pilote", la tête sortie par le carreau, et qui invective les passants pour racoler et s'occupe d'ouvrir la porte et de récupérer les sous; souvent rutilants, leur véhicules sont enjolivés par toutes sortes d'accessoires, principalement des jantes alu et des décos adhésives, et portent des noms: "OBSESSION", "GOD IS LIFE", "LET ME GO", etc.....