Jeudi 7 Janvier: il est 5h30 du matin; un cliquetis caractéristique émanant de la cuisine m'indique que Jean-françois fait la vaisselle d'hier soir; nous sommes arrivés à la bouée d'attente de Gatun à minuit passé, après un passage d'écluse particulièrement laborieux, derrière un porte-container au gabarit canal qui n'avait donc que 50 centimètres de chaque coté entre sa coque et les murailles..... Le pilote, en nous quittant, nous a demandé de nous tenir prêts à repartir à 6h30, d'où ce lever quelque peu matinal, juste à l'orée du jour. L'objectif: filer vers l'écluse Pedro Miguel en tentant de l'atteindre pour 10h30.....difficile; "Esquinade" n'est plus tout jeune, et sa carène abrite une faune et une flore naissantes peu propices à compenser le caractère asthmatique de la bourrique, un brave tri-cylindre Volvo qui affichait 30 chevaux au début de sa carrière, entre deux guerres, mais à présent???....."Quelle vitesse pouvons-nous soutenir sans risque pour la mécanique?" interroge Moïses notre pilote. Réponse: 5,5 noeuds, qui pourraient monter à 6 si on sort le génois. "Bon! on va passer par le Banana canal; normalement c'est interdit, mais on ne risque pas grand chose et ça raccourci de 3 milles ". Le Banana canal tient son nom de l'époque où il était utilisé principalement par des canotes de faible capacité et faible tirant d'eau qui transportaient quoi?, je vous le donne en 999 ( tout fout le camp....): des bananes. Présentement, il ne sert plus à ça, il ne sert même plus à grand chose, mais ils le gardent tout de même; c'est vrai que, quand on se prend de tendresse pour un canal, à fortiori un banana canal, la séparation ne peut être que douloureuse, alors on le garde; c'est humain......Le teuf-teuf ronronne doucement et la croisière se passe dans la joie et la bonne humeur, à travers un splendide paysage de forêt, agrémenté de temps à autre par le passage d'un cargo de 300 mètres de long qui nous double à 15 noeuds....tranquilou, tranquilou, vers 10 heures, le camarade Moïses appelle le patron de l'écluse en VHF ( mon copain Jean-françois me fait toujours marrer avec ça: il dit "VHS" lui....je me demande s'il a un magnétoscope avec des cassettes BLU, ou si y stocke sa musique sur une clé VSD.....) pour donner notre position et prendre les dernières nouvelles du sas. "On fait demi-tour" qu'y dit le gars Moïses. Nous, on se retourne tous en choeur vers lui avec des tronches d'ahuris, oeil interrogateur, rictus de déception au coin du groin......"on va prendre la bouée d'attente de Gamboa" persiste-t-il. Nous y sommes en quelques minutes, et là, y nous balance la bonne surprise du jour: le planning est tout chamboulé (on n'a pas très bien capté pourquoi), et nous ne pouvons plus passer aujourd'hui, car ils n'ont plus que des cargos au format maxi des sas, et, donc, il n'y a aucune place possible pour nous de toute la journée! En conséquence de quoi, nous devons rester bien sagement 24 heures scotchés ici, avec interdiction absolue de se baigner et de se promener en annexe à cause des alligators. Tout ceci est fort contrariant mais c'est un brin exotique et assez peu commun de faire une escale à Gamboa......l'endroit n'est pas moche; une berge aux quais occupés par des remorqueurs et divers matériels maritimes, et l'autre avec la forêt pleine de bestioles qui mangent les autres bestioles et braillent fort la nuit , genre singes hurleurs.

Samedi 9 heures, nous avons de nouveau un pilote, Rodolpho, et c'est reparti! quelques minutes plus tard, nous croisons un superbe croco de 3 mètres de long à l'instant précis où je lui manifeste ma déception de n'en avoir toujours point vu. Arrivés à l'écluse de Miraflorès, un lamaneur particulièrement malhabile loupe 2 fois de suite son jet de touline, et manque estropier son collègue, causant une euphorie générale bienvenue pour décontracter l'atmosphère, toujours bien stressante dans ces grands sas. Enfin, la dernière porte s'ouvre comme un rideau de théatre sur cet océan tant espéré: le Pacifique. Hélas, la fin du voyage jusqu'à la baie de Flamenco sera peu conviviale à cause de divers problèmes dûs à notre agent "Tito" qui est en train de chercher à nous arnaquer; nous allons même jusqu'à garder ses amarres en otages contre la volonté de son matelot pour obtenir gain de cause; tout se règle enfin dans la soirée; il est un peu tard, nous sommes tous fatigués, nous machéterons ( c'est comme sabrer, mais avec un coupe-coupe) la bouteille de champ' demain avec les copains.