jeudi 25 mars 2010: nous voguons sur l'océan Pacifique. Depuis le temps que j'avais envie de ça! Nous avons quitté le Costa Rica depuis 3 jours. Une petite escale de quelques heures à l'île Coco, parenthèse pour s'offrir une nuit de sommeil intégrale. C'est magnifique Coco, mais très cher. Cette réserve naturelle est gardée par un petit contingent de fonctionnaires qui rançonnent tout: le stationnement, les ballades à terre, la plongée. Prétextant un problème mécanique, nous y passons une après-midi et une nuit, avant de repartir en ayant tout de même observé, en apné, les milliers de poissons qui viennent chercher l'ombre sous le canote; la végétation est luxuriante autant qu'exhubérante, et on observe, en longeant la côte, quelques très belles chutes d'eau qui s'écoulent directement dans la mer. Le vent est très faible, et dans le pif en plus; avec la mer plutôt chaotique, ça bouge un peu. Nous naviguons au moteur, alternant le babord et le tribord, chacun son tour toutes les douzes heures, avec grand-voile et artimon bordés plats, pour que le peu de brise aide lorqu'elle n'est pas juste de face. A l'horizon, la grande pièce orange vient de disparaitre derrière les nuages gris, comme avalée par une monstrueuse tirelire; la lune est là, qui va prendre le relais pour nous rendre la nuit plus douce. C'est fantastique d'être ainsi seuls au milieu de la mer, avec la compagnie de la lune pour savourer le bonheur d'une navigation sereine. Dans la journée, les dauphins sont venus nous amuser de leurs cabrioles; ils nous semblent plus corpulents que ceux de l'Atlantique, et font des bonds en l'air absolument invraisemblables, genre trois ou quatre fois leur longueur, et parfois tout près de nous; impressionnant.

vendredi; cinquième jour de navigation au moteur: c'est le pot-au-noir. Il est clément. Sans vent, bien sûr, mais l'activité orageuse est peu développée, et nous glissons en douceur sur une mer lisse. Nos deux lignes de traine restent désespéremment vides de proie; pas étonnant avec tous ces dauphins qui briguent à peu près les mêmes bestioles que nous. Il y a trois jours, avant d'arriver à Coco, les 2 bas de lignes ont été enlevées, sans doute par des poissons trop gros. Tout était foutu le camp: émerillons, plombs, hameçons, leurres.....ce qui fait que, quand nous remontons nos lignes vides avant la nuit, ça nous fait comme un genre de petite satisfaction si les leurres sont encore au bout; on n'a rien pris, d'accord, mais on pourra recommencer demain....Espoir: l'horizon devant nous se charge de petits cumulus cotonneux qui laissent à penser que nous verrons bientôt la fin de cette zone de convergence intertropicale, et le retour d'un peu de brise (Denise)

samedi: ça y est! fini le pot-au-noir et ses angoissants nuages, sombres et pas sympas; place au ciel bleu et à cette jolie brise de sud-sud-est qu'il me plait de nommer "alizé", à tort ou à raison et inversement. Les moteurs ont tourné à tour de rôle sans interruption depuis le départ. Retrouver, après ça, la magie de la voile, le canote qui avance tout seul sans bruit, c'est plaisant. Glisser sans heurt, avec juste le chuintement de l'eau qui caresse les coques, et le murmure du vent dans le gréement.....quelle quiétude!......que ne viennent troubler aucun poisson mordant à nos lignes.... c'est quand même plus sûr de faire les commissions chez le marchand avant de partir, que j'me dis.

Ces derniers temps, au niveau lecture, je me suis pris d'affection pour les auteurs classiques; ainsi, je viens de terminer la lecture de "la condition humaine" de Malraux; je vous le dis tout net, pour la poilade et le fendage de gueule, c'est zéro! pas un seul fou-rire ni rien de ce genre; vachement reposant pour les zigomatiques; on sent bien que l'auteur n'a pas fait grand effort pour détendre son public, et ça, ça me désoblige un petit peu.

Sinon, en faisant ma petite sieste, il m'est venue une idée que je pressens géniale, bien que celà soit sans doute à confirmer....il y a, ici aux Galapagos, nombre d'énormes tortues marines qui ne servent à rien ni à personne. Mon idée serait d'ouvrir un bar. On pourrait l'appeller le "Tortugast" ( pour faire un peu genre breton.....). Les clients seraient servis par des tortues apprivoisées. Il faudrait, dans un premier temps, leur faire, dans la carapace, des trous à la scie-cloche, environ diamètre 70 millimètres. Attendre un peu que cicatrise l'alésage laissé par le forêt-centreur, mais, rien à craindre pour la santé de l'animal, ça a la peau vachement dure ces bestiaux-là. Ensuite, un peu de dressage sera nécessaire pour lui apprendre les rudiments de son nouveau métier. Ca ne devrait pas être trop ardu, si on songe que la frangine à mon Tintin apprends à des clébards à faire traverser les rues à des aveugles non-voyants qui n'ont pas d'zyeux pour pleurer, c'est vous dire. Ce bar ne comporterait qu'un comptoir et des fauteuils disposés ça et là ou l'inverse, mais pas de table. Au moment béni de l'apéro, confortablement installés devant rien, la tortue arriverait tranquilou avec les verres bien calés dans ses cup-holders dorsaux (cf. scie-cloche, pas si cloche que ça en définitive), se positionnerait devant les convives, et rentrerait sa tête, sa queue, et ses pattes dans son sweet home, telle une table basse à géométrie variable, facilitant ainsi les éventuels déplacement de ceusses qui voudraient se soulager la vessie ou que sais-je d'autre, en cours d'apéro, sans se prendre les pinceaux dans les pieds de la table comme ça s'est déjà produit quelquefois....Au bout d'un moment, sentant dans son dos la différence de poids des verres vides, elle ressortirait son matériel ambulateur pour retourner derrière le bar quérir la deuxième tournée, car la formation avait commencé par l'apprentissage de cette notion apéritive essentielle: "on ne repart pas sur une seule patte". Et pour finir, la cerise sur le gâteau: quand Monsieur Tortue grimperait sur Madame Tortue afin d'accomplir sa besogne de prolifération de l'éspèce, il pourrait, lui aussi, siroter son petit remontant, sans en renverser partout, grâce aux cup-holders! Alors, y en a encore qui la trouvent pas géniale cette idée?