Dimanche 16 Janvier;

Motu Ahi: approche prudente en dinghy; slalom au ralenti entre les patates de, je vous le donne en mille,..... corail; c'était facile! Devant nous, un bras sort de l'eau et s'agite en moulinets d'accueil; c'est Agnès qui signifie:"venez vite , c'est super!". Elle et Julien ont quitté le mouillage de Vaiare ( à Moorea) un peu avant nous et pataugent depuis une petite demi-heure, leur dinghy vert hâlé sur la plage de Motu Ahi. Le soleil rôti déjà sévèrement les peaux nues. Les indications verbales du G.O. ( gentil otochtone.....ouaf, ouaf) vociférant et gesticulant sur son deck de reception nous invitent à choper une bouée pour y amarrer le Newmatic. Ca y est! décor est en place, le Dimanche de rêve peut commencer. Visite guidée du motu par Moana et son pote; quelques sobres "fare" traditionnels faits de bois et de feuilles de pandanus tressées sont disponibles à la location pour la journée ou la nuit sur cet îlot minuscule situé à trois cent mètres du rivage de Moorea. Petit café d'accueil pris "au bateau": l'espace bar/cantine ombragé et convivial, aménagé au centre du motu dans l'esprit "épave échouée là et recyclée"; tout est fait de matériaux basiques, jusqu'à cet adorable "salon d'extérieur" au mobilier de bois flotté. Bien sûr, ici, on fait du tourisme; mais l'ambiance est débonnaire et tout à fait éxotique; et puis, nous on ne paye pas, alors ça fait un peu comme si on était de la famille.....Les clients viennent des pensions voisinnes et sont transportés par pirogues à balancier pour assister au moment fort de la journée; 11h30: nourrissage des habitants légitimes du lagon. Ils y sont habitués, les bougres, et accourent nerveusement, à vessie natatoires rabatues, dès que le dompteur trempe son premier orteil dans l'eau. Les clampins touristiques suivent immédiatement, armés des indispensables masques/tubas fournis par l'organisation, et se rangent comme à la parade, agrippés à la ligne disposée là pour eux au milieu du jardin de corail. La distribution des premières victuailles déclenche un véritable festival de bestioles hystériques: les mulets et surmulets à nageoires jaunes forment un nuage que les puissantes carangues découpent et dispersent en un feu d'artifice mouillé. Une murène javanaise ( comment je sais qu'elle est javanaise, c'est pas que je la connaissais d'avant, je l'ai vue dans le bouquin des poissons), planquée en embuscade dans son trou, reluque d'un oeil gourmand la cheville d'un pépère en tongues, gris de la crinière et rose de tout le reste. Les élégantes raies armées (à cause qu'elles sont grises sans doute.....) volent avec grâce, frôlant les badauds sous-marins pour glaner quelques caresses, sous le regard morne des poissons-trompettes que toute cette agitation laisse sans voix. Le bec-de-canne, avec sa bouche à la Béatrice Dalle déambule placidement, cependant qu'inlassablement rôdent les "pointes noires", tels des gardiens de la paix encadrant une manif pacifique: y z'agressent personne, mais, bon, faudrait pas que ça dégénère..... Et voilà que la matinée s'achève, et qu'il est temps de rejoindre le mouillage, car nous sommes conviés à un petit gastro entre amis à bord de "la Mandragore". Ils nous gâtent les amis! les agapes occupent un bon morceau de l'après-midi; on en profite car il se peut qu'on ne se revoie pas de sitôt.

Nous avons fait notre sortie officielle de Polynésie jeudi dernier, et sommes donc actuellement, du point de vue administratif, en route vers les îles Cook, "via les îles sous le vent"......, sans précision de la durée du "via". Cette tolérence tahitienne nous a permit d'approvisionner quelques dizaines de bouteilles de vin et d'apéritif, ainsi que le plein de gas-oil, en "duty free"; une ombre au tableau toutefois: nous n'avons pas le droit de consommer une seule goutte de tout ça (sauf le gas-oil....) avant d'être sortis du territoire Polynésien, sinon, c'est la grosse amende! bonjour le supplice de Tantale.....

17 heures; l'après-midi s'étire, apalatie sous le ciel de plomb. Malou est partie discuter par bulles avec ses potes de l'étage en-dessous, renouant avec cette habitude qui lui est chère d'aller barboter quelques quarts d'heures en fin de journée. Agnès et Jullien ont disparu derrière le récif pour rejoindre Tahiti avant la nuit. Pour nous, la quête de milles gagnés vers l'ouest est repartie. Sans se précipiter toutefois, car nous avons encore trois mois devant nous pour visiter tranquillement les îles sous le vent, avant de faire route vers les Cook.

Jeudi 20 Janvier: petite navigation pour rejoindre la côte Nord de Moorea, histoire de bouger un peu tout en gagnat quelques milles sur la prochaine traversée vers Huahine. Les lignes de pêche sont à l'eau, et des centaines de piafs chassent tout autour de Catafjord; c'est bon signe. La brise qui vient de se lever permet de stopper le moteur pour naviguer sous génois seul à 5 noeuds. Nous sommes à un demi-mille au large du reef, et ça mord! Un premier wahoo d'1m10 et 12 Kg, immédiatement suivi par une bestiole un peu plus hardue à remonter: un autre thazard d'1m50 et 20 Kg cette fois. Je n'en avais pas encore pris d'aussi gros; gants de manutention obligatoires pour chopper la ligne en nylon à pleine main et la rentrer mètre après mètre ( pas de moulinet). Entrant dans la baie de Cook un quart d'heure plus tard, un poti-marara rouge équipé d'un popa corpulent, grisonnant, et peu amène nous dépasse; pas un regard, pas un sourire, pas un salut: c'est Olivier de Kersauson; il vient de louper bêtement l'occasion de se faire offrir vingt kilos de poisson frais; tant pis pour lui, le gros wahoo sera pour l'équipage d'Askari, un motor yacht de charter mouillé dans la baie, qui, pour nous remercier, nous dira: "merci".