Le coût de la vie, en Polynésie française, est sensiblement plus élevé qu'en France métropolitaine; une récente enquête fait état de 26% pour qui se conforme aux habitudes de consommation locales, et de 52% pour celui qui veut vivre à l'européenne. A cause de celà, nous sortons rarement nous restaurer à terre. Cependant, ce vendredi, après avoir éclusé une petite mousse en terrasse, avec coucher de soleil sur Raiatea, nous nous rendons nonchalament à la roulotte des chinois pour y dîner à pas trop cher. Sorte de camping-car antique aménagé en mini-cuisine, l'espace "client" y est constitué de tables en planches flanquées de chaises de jardin en plastique, le tout abrité sous une bâche maintenue par quelques graciles piquets de bois et tubes métalliques d'occasion.....le théatre de notre exceptionnel "restau à terre" ressemble à celui qui reçoit habituellement nos sympathiques fêtes de famille en Bretagne, l'ambiance en moins. Arrivant à la tombée de la nuit, nous sommes les premiers clients. Ici, on ne sert aucune boisson alcoolisée; aussi, est-il de coutume d'apporter chacun son liquide préféré pour accompagner son repas; c'est pourquoi, notre avant-dernière bouteille de vin, entamée de la veille, jaillit rapidement du sac à dos pour aller remplir les gobelets plastiques prétés par le taulier. La soirée s'annonce calme, voire romantique.....quand, tout à coup soudainement, un ronronnement de moteur hors-bord, suivi d'agitations sur le quai de commerce, là-bas, annoncent l'arrivée de......nous les reconnaissons tout de suite: Pierre et sa compagne Rautea. Le gamin de 5 ans a été confié à des amis et, eux aussi sont de sortie; mais pas seuls, nous apprennent-ils.....dans quelques instants, arriveront une douzaine de potes pour leur hebdomadaire festin du vendredi soir à la roulotte! Pierre nous invite à partager la table avec ce groupe, dont il s'avère que nous connaissons déjà Laurence et Olivier de la pension "chez Guinette". Cette heureuse initiative nous permet de passer une bien sympathique soirée et de faire un peu plus connaissance avec Pierre Cosso, qui s'est présenté à nous il y a à peine deux jours. Acteur, il a pris la mer entre deux tournages il y a plusieurs années, à bord de son Outremer45 "Nusa dua", pour un tour du monde; mais voilà, la Polynésie l'a tellement séduit qu'il s'incruste. Venant d'acquérir, pour le fun, un Hobie 21 un peu mal en point, il est venu solliciter mon expertise avant de remettre l'engin à flot. Nos discussions nous révèlent qu'en définitive, nous avons pas mal de potes commun.

Dimanche 6 Février; nous quittons Fare pour quelques jours. Naviguant vers le sud, à l'intérieur du lagon, notre escale suivante se situe entre motu Vaiorea et Huahine Iti, devant une délicieuse petite plage de sable blanc enchassée dans la forêt touffue et luxuriante. C'est ici le royaume de "Siki"; il entretient la forêt, nettoie la plage, fait la causette aux visiteurs, et organise des agapes à base de produits locaux. Cet après-midi, il nous servira de guide, nous cueillant potirons, bananes, papayes, avocats, uru, tout en nous racontant la vie locale, la sienne, celle de ses voisins et de sa forêt.....rendez-vous est pris pour un "four tahitien" mercredi. Siki a passé des années en France, et a aussi beaucoup voyagé; malin et instruit, c'est un agréable compagnon de promenade.

Mercredi 9 Février: notre chaine d'ancre est allée s'emberlificoter dans une grosse patate de corail; elle travaille mal, je n'aime pas ça; elle pourrait casser lors d'une survente. Malgré le rendez-vous de 9 heures avec Siki, et d'ailleurs je le vois arriver au loin sur son va'a, Malou, dans l'eau équipée de masque/palmes/tuba, et moi, aux manettes, nous débrouillons le bazar....9h30, il est temps de nous rendre sur la plage pour aider Siki dans la préparation du "four tahitien"; le premier depuis que nous sommes en Polynésie.....du moins, celui-là est-il parfaitement authentique. Au menu: pohé-potiron, ipo, uru, et poulet grillé. Un trou creusé dans le sable à l'aide de la pagaie accueille un feu de bois garni de pierres. Au bout d'une heure (ou deux....), quand les pierres sont brûlantes et le tas de braises conséquent, on ôte le bois pas encore brûlé pour déposer sur les cailloux le pohé et le pain de coco (ipo), enveloppés dans des feuilles de bananier. L'ensemble est recouvert de feuilles de bananier disposées en quinconce, puis enseveli sous le sable. Le pohé est une mixture composée de potiron additionné d'amidon et de lait de coco. Pendant que ça mijote, un deuxième feu de bois reçoit, tel un trophé perché sur le fagot de branches coupées, le uru (fruit de l'arbre à pain), qui va cuire directement dans les flammes. De mon coté, à cheval sur la râpe à coco, j'extraie la pulpe blanche qui, pressée dans un torchon, va produire le lait de coco, élément essentiel de la cuisine tahitienne. En quelques minutes, Siki tresse des feuilles de cocotier pour confectionner le plat pour receptionner la coco râpée. La cuisson du uru se juge "à l'oreille", en le tapotant avec un bâtonnet de bois; faut que ça sonne mou pour être bien cuit.....ça ne s'invente pas ça; faut l'avoir vécu. Une fois sorti du feux en le saisissant avec les feuilles qui vont bien, Siki joue encore de la machette avec délicatesse pour enlever la croûte carbonisée et découvrir le fruit à point. Coupé en dés et trempé dans le lait de coco, c'est un délice. Le reste aussi. On mange avec les doigts, assis sur un tronc d'arbre; c'est "colle en tas" comme dis notre hôte. Pour le remercier de ces bons moments, j'offre de lui remettre à neuf les deux balanciers en bois de sa pirogue, en recollant les morceaux cassés et en stratifiant le tout avec un petit sergé imprégné de résine de l'époque-ci....gageons que ce n'est pas sur le point de mollir....