Lundi 21 Février: c'est avec regrets que nous quittons cette délicieuse baie d'Avea, une de nos meilleures escales de Polynésie. Très bien abritée et néanmoins correctement ventilée, son large lagon recèle un somptueux plateau sablonneux sous un mètre cinquante d'eau émeraude. Quelques établissements à touristes, de tailles modestes, apportent au hameau un peu d'animation. Les habitants manifestent leur gentillesse naturelle en offrant aux visiteurs les bananes, avocats, noix de cocos, urus qui poussent derrière chez eux, au pied de ce monticule verdoyant qui se prendrait presque pour une montagne. Hier, nous avons accompagné nos amis Teresa et Edwin au match de foot que leur équipe disputait contre celle de Fare, la "capitale", dans la partie nord de l'île. Après un pittoresque transport en "truck", (soit un camion dont la benne est équipée d'une cabane en bois avec des bancs latéraux), le long de la route côtière aux paysages enchanteurs, nous avons passé l'après-midi à voir nos nouveaux copains se faire déculotter par des adversaires nettement mieux entrainés; cependant, comme ils se connaissent tous, et sont souvent de la même famille, ici, on prend sa pâtée dans la joie et la bonne humeur; personne n'est fâché.

De retour à Fare pour saluer les "Guynettes" avant de quitter Huahine, c'est Pierre Cosso et Rautea qui nous font l'agréable surprise de leur présence alors que nous les imaginions en vadrouille....Un petit coup de main de dernière minute pour les aider à préparer le vieil Hobby Cat 21 récemment acquis à vil prix, et les voilà partis en mer avec toute la smallah pour enfin se griser de vitesse avec la véloce machine. Las; je ne sais pour quelle étrange raison, tout en bricolant dans le cockpit du Catafjord, je gardais un oeil sur leur libellule ballotée dans les vagues, quand, tout-à-coup soudainement, ils disparaissent de mon champ non pas d'artichauds, mais de vision, derrière de gros rouleaux écumeux, véritables tapis roulants à surfeurs; un coup de jumelles, perché sur le sommet du rouf, me donne l'affligeant spectacle de leur mât barbotant à l'horizontale à coté de leur plateforme; le récif est à un demi-mille, et la nuit s'apprête à faire ce qu'elle fait tous les soirs à cette même heure: tomber! Le temps de préparer un peu de mélange deux temps pour le dinghy, et nous voilà, mon matelot et moi, volant au secours de nos malchanceux amis. Pas trop de casse (excépté quelques hématomes pour la copine qui s'est pris le poteau sur le coin de la tronche); nous les ramenons, piteux, en remorque, juste avant l'engloutissement quotidien par l'horizon de la grosse ampoule jaune. Apéro à bord de Catafjord, suivi d'un agréable dîner dans le cockpit de "Nussa Dua"; l'incident n'entame pas l'enthousiasme de Pierre pour son nouveau jouet.

Mardi 21 Février: jour de notre départ pour Raiatea; le temps de refaire la tension de courroie du moteur babord, puis de réparer vite-fait le vit-de-mulet du Hobby 21 qui avait subi hier soir une fin horrible que nous ne souhaitons à personne, et nous appareillons enfin vers 10 heures, poussés à faible vitesse par la brise légère qui caresse mollement notre génois, seule voile à prendre du sevice ce matin; le vent est pile dans le "fion"; aussi, sans spi, que faire? Bon, ben ça donne un petit 4 noeuds, avec des pointes à 5! il n'y a que vingt milles à parcourir; ça ira très bien comme ça; et puis, pendant qu'on est en mer, Malou n'est pas au bistrot....

Mercredi 22 Février: l'ambiance à cette escale de Raiatea est très différente de ce que nous avons connu ces dernières semaines, rappelant plutôt les longs séjours passés à Taina dans le sud de Papeete. Rapidement, nous retrouvons nos vieilles connaissances Fanny et Claude Brun. La dernière fois, nous nous sommes quittés en 1998; ils mettaient à l'eau leur cata de 16 mètres (plans B Nivelt). Claude, pour nous, c'est "le bûcheron". Ils ont vécu 9 ans à bord de "Crin blanc" accompagnés de leurs trois enfants; un exploit quand on connait ce canote qui tient plus du day-boat que des caravanes flottantes qu'on fabrique aujourd'hui en série. La nacelle est éxigüe, et l'accés aux étroites coques se fait par l'extérieur. Le mot confort a été proscrit du vocabulaire de l'équipage. Par contre, cette libellule avance comme une comète sans forcer. Nous avons connu Claude à Lorient en 1979; il nous avait alors évité l'infâmie de la dernière place en arrivant quinze jours après nous dans la course Lorient-les Bermudes-Lorient. Ce petit malin empochait au passage le joli prix de dix mille francs résérvé à la lanterne rouge à babord, mais verte de l'autre coté bien sûr....Fanny et Claude nous reçoivent avec gentillesse dans leur hâvre de paix et de verdure. Après avoir acquis un immense terrain boisé à flancs de côteaux, ils se sont construit une maison avec le bois des pins abattus, et s'apprêtent à monter un deuxième "fare" pour le louer. Notre imposant homme des bois et sa menue Fanny ont encore bien du pain sur la planche; heureusement courage et énergie ne leur font pas défaut. L'autre retrouvaille sympa c'est Laurent Bourgnon dont le majestueux cata à moteurs est stationné à la marina d'Apooiti, entre deux expéditions charter. J'apprécie beaucoup nos longues conversations techniques sur Le sujet majeur: les bateaux. Sa femme Caroline est une personne très agréable, et le temps file trop vite en leur compagnie.

Arrivant en dinghy dans la mini-marina du lieu dit "le carénage", mon regard est attiré par un joli trimaran jaune arborant le nom "Octopus" en lettres noires. Je connais ce bateau. Renseignements pris, c'est bien l'ancien "Lejaby-Rasurel" avec lequel nous arrivions en vaiqueur à New-Orléans, François Forestier, Charlie Capelle et moi, après un mois de course au départ de La Rochelle en 1983, je crois. Détail cocasse, arrivés 2 jours avant O.de Kersauzon qui commandait un tri une fois et demie plus grand, celui-ci me proposait un poste d'équipier pour le retour en France de son canote; je dus décliner, ayant en poche mon billet d'avion pour rejoindre Pépette, impatiente de récupérer son mari. Sa réputation de capitaine teigneux lui compliquait singulièrement la constitution d'un équipage de retour.

Nous déambulons dans les rues de Uturoa, capitale de Raiatea. Avant de quitter la Polynésie, je m'enquiers auprès d'un autochtone d'une boutique où acheter ces éspèces de préservatifs isothermes dont on peut parer une canette de bière pour garder les bulles au frais; le mec me dévisage un instant avant de me lâcher:"si elle se réchauffe ta bière, c'est que tu la bois pas assez vite!". C'est pas faux...

Encore quelques menus travaux pour améliorer un peu plus notre Catafjord, et les jours s'égrènent sans que nous ayons réellement fait connaissance avec cette île. Aussi, dès demain, c'est décidé, on ajoute un peu de tourisme au programme.

Mercredi 2 Mars: Catafjord est au coffre aujourd'hui! entendez par là que nous avons amarré le bateau à un corps-mort en arrivant au fond de la baie de Faaroa, conformément aux conseils de l'ami Cosso. Le but de cette escale est de faire une ballade en canoë sur la seule rivière navigable de Polynésie. James, notre guide, contacté hier par téléphone, nous attend. Il a cueilli la papaye et la pastèque qui nous tiendront lieu de casse-croûte. Chacun dans son embarcation de polyéthylène, équipé d'une double pagaie, nous voilà voguant sur les flots sans ride de l'Aoppomau. James commente ce que nous voyons; les arbres surtout, car les animaux visibles sont peu nombreux. L'excursion comprend une visite pedestre au jardin botanique municipal qui possède, nous dit James, une particularité intéressante: chacun peut y cueillir à sa guise les fruits qui appartiennent, de fait, à la collectivité. Notre vocabulaire botanique s'enrichit: "moustaches de chat", "impatientes".....difficiles à retenir ces noms scientifiques....

Nous avons le projet d'être en Nouvelle-Calédonie pour mi-juin, ce qui nous force à accélérer un peu notre rythme de croisière, au détriment de Raiatea, que nous quittons aujourd'hui même pour sa voisine Tahaa, hébergée par le même lagon.