Jeudi 3 Mars; je prends la décision inhabituelle de parcourir à la voile la dizaine de milles qui doit nous mener à Tahaa; lentement. Il peut, en effet, être un peu imprudent d'envoyer les 18 tonnes de Catafjord à bonne allure dans le labyrinthe du lagon, et pourtant, c'est dommage de ne pas profiter de ce bon alizé d'une quinzaine de noeuds. Sous génois seul, nous nous trainons tranquilou à quatre noeuds en longeant la côte au vent de Raiatea, à l'abri de la barrière de corail: eaux turquoises à notre droite, et, sur l'autre bord, la côte verdoyante parsemée de maisonnettes colorées. Ainsi, nous arrivons pour le déjeuner à la pointe Toamaro, où un corps-mort tout neuf nous tends sa bouée jaune. Très bel endroit, abri efficace, il y a même un bistrot avec son wharf pour le dinghy à une centaine de mètres. Voilà un décor qui nous convient. Le tavernier s'appelle Richards; c'est un américain tahitiennisé par 40 ans de séjour en Polynésie. Amateur de catamarans, il a été l'heureux propriétaire de deux voiliers sur plans de l'architecte australien Lock Crowther, celui qui a conçu Catafjord. Richards a récemment mis en place le corps-mort qui nous tient en laisse, lequel est gratuit... pour les clients; autrement dit, boire un coup au Taravana, c'est quasimment une obligation! dans ce cas.......

Les îles sous le vent ont une particularité plaisante: elles sont souvent pourvues d'une adorable route côtière sur laquelle il est délicieux de cheminer à bicyclette, car c'est à peu près plat ( mais des fois, il y a de satanés raidillons quand même), avec le lagon d'un coté, et de l'autre des cocotiers, ou bananiers, ou hibiscus, ou pandanus, ou toute cette sorte de merveilles botaniques tropicales. Tahaa ne fait pas exception, et c'est un régal de nous rendre à vélo jusqu'au village de Haamene, blotti au fond de sa profonde baie. Un modeste marché artisanal nous offre l'opportunité de quelques emplettes à prix modérés; ce ne sont certes pas des tarifs Brésiliens, mais pour ici, c'est plutôt raisonnable. Après une rapide visite à la fondation Hibiscus, qui "sauve" des tortues en les rachetant aux pêcheurs, un frugal repas en terrasse, à l'ombre, au milieu de quelques tahitiens, nous fournit le tonus nécessaire pour attaquer les 15 kilomètres du retour.

Samedi 5 Mars; bonne surprise, c'est le pote Bruno qui arrive avec Sylvie et leurs 3 filles à bord de Maloya, leur First 456. Bruno nous présente un de ses amis, le gars Louis, un type intéressant. Installé avec Beloune, sa compagne, dans le joli fare en bambous qu'ils ont construit au bord de la plage, il y a déjà quelques décennies, Louis s'est engagé dans la construction de son deuxième catamaran de croisière en bois-époxy. Sa maquette donne une bonne idée du futur canote que je trouve bien conçu. Seize mètres cinquante tout de même! Louis n'est plus très jeune, mais encore bien vaillant. Venant à son tour visiter (et admirer) Catafjord, il est accompagné de Jean-Yvon, un breton qui m'a connu lorsque je travaillais chez Métalu! le monde est minuscule décidemment.

Lundi 7 Mars; nouvelle virée en vélo, mais dans l'autre direction cette fois; quand je vous parlais de raidillons! il est copieux celui-là. Essouflés en poussant les vélos! Sur le bord de la route, gisant au sol, ses fruits encore agglutinés au tronc, un papayer cassé. Pour le coup, on a pris deux papayes, pas payé, et on s'est cassé! voilà not' vie.

Mardi 8 Mars; au revoir Taha. Dix à quinze noeuds d'alizé et 23 milles à parcourir peinards sous génois seul avant d'atteindre le mythique lagon de Bora-Bora; l'ancre tombe dans sept mètres d'eau limpide, fond de sable. Devant, c'est motu Topua, couvert de végétation; l'éventail des verts, à l'heure de la belle lumière, ferait pâlir de jalousie un nuancier RAL et laisserait pantois un nuancier Pantone. Derrière, c'est le sunset à touristes, identique à celui des dépliants d'agences de voyage. On ne s'en lasse pas. En arrière-plan, le mont Otemanu dresse ses flêches volcaniques vers la voûte bleue parsemée de cumulus chétifs. Quelques vahas colorés distraient le plan d'eau calme du lagon.....belle soirée.

Jeudi 10 Mars; quelques tours d'hélices, et nous voici au fond de la baie de Povai, toute proche de l'agglomération principale de Bora. L'après-midi s'avance. Revenant à pied de Vaitapu, nous avisons un jeune gars dont les bras trainent jusqu'au sol sous le poids de deux bidons de trente litres d'eau; il est suivi d'un gamin au sourire d'Enzo. Je lui lance en matière de plaisanterie: "Ah, c'est toi le gars qui remplit la mer!". Il pose ses bidons: "Pas du tout; c'est de l'eau douce. J'habite sur le motu en face, et je viens tous les jours chercher de l'eau ici, car il n'y en a pas sur le motu". Cette jovialité latente des Polynésiens m'enchante toujours. Il entreprend de nous raconter sa vie. "Nous avons eu un garçon, alors il lui fallait un petit frère, et donc on a fait un deuxième garçon. Puis ma femme a dit:"ce serait bien aussi une fille"; alors on a fait une fille. Puis elle a dit:"Il lui faut une soeur à elle aussi"; alors on a remis ça ,.... sauf que ça a été un troisième garçon!" Alors, ils ont insisté, et ça a été une fille. Commentaire du gars: "bon, ben, cinq, faut les nourrir! C'est du boulot! Heureusement, ici, on a tout: fruits et légumes poussent en abondance; quelques poules; plein de poissons dans le lagon; faut juste pas être fénéant!"

Cinq minutes auparavant, de l'autre de la rue, deux gars discutaient, plein de bananes posées à coté d'eux. Malou les interpelle: "combien tu les vends tes bananes?". Réponse: "Elles sont pas à vendre...... T'en veux?", et le gars lui en offre une vingtaine, comme ça, juste pour faire plaisir, sans aucune contrepartie. Qui a dit que les gens de Bora ne sont pas sympa?

Ceci étant, Bora abrite ausi quelques empafés, comme celui qui, ce Dimanche matin, nous a subtilisé le reservoir d'essence du dinghy pendant que nous étions tranquillement occupés à admirer le lagon depuis les hauteurs de la pointe Matira, au sud de l'île. C'est le deuxième qu'on nous pique depuis notre départ de métropole en 2007; le premier, c'était à St Martin, aux Antilles, coté français.....

Mercredi 16 Mars; montée à pied par le chemin de terre qui mène "aux canons"; ça grimpe bien, et le soleil tape fort. Deux 4X4 d'excursions remplis d'américains nous dépassent, très étonnés de nous voir là sans véhicule.....Leurs chauffeurs malins se sont fait aménager au tracto-pelle des franchissements bidons pour donner un peu de frissons à leur public. Arrivés au bout du chemin, la vue est magnifique depuis ce promontoire où trônent encore deux impressionnants canons de la dernière guerre. Générosité des Polynésiens: le chauffeur d'un des véhicules propose de me donner sa belle-mère.....craignant de ne pas en être digne, je préfère décliner l'offre. C'était tout de même un belle proposition; ça fait couramment 90 kilos une belle-mère ici! Sur le chemin du retour, un gars qui faisait sa petite pause partage avec moi son "bonbon": c'est un genre d'herbe qui pousse plutôt bien par ici et qui permet de confectionner des cigarettes magiques.....Maintenant que nous avons un peu visité, nous pensons quitter Bora-Bora pour voguer vers Maupiti dans un ou deux jours.