Début Mai;

Atterissant sur la baie qui abrite la petite ville de Savusavu, notre première escale Fidjienne, un troupeau de globicéphales croise notre route, avec cette majesté un peu indolente caractéristique des grands mammifères marins. Voici plus de trois jours que nous avons quitté Vava'u, établissant un nouveau record de lenteur.....il faut dire que nous sommes un peu tôt en saison, et donc l'alizé est loin d'être établi. Heureusement, les deux braves Yanmar répondent souvent "présent" pour sauver un peu la moyenne. Mettre en oeuvre une stratégie pour arriver dans les heures ouvrables s'avère plutôt payant. Il est absolument interdit de faire quoi que ce soit avant d'avoir accompli toutes les formalités, c'est-à-dire la santé, la quarantaine, la douane et l'immigration. L'"overtime" constitue pour l'état Fidjien une source de revenu non négligeable car les pénalités sont abondandes et élevées. Le top c'est de pointer ses étraves vers un genre 15 heures, et c'est pile poil ce que nous faisons; ainsi, il reste encore une bonne heure avant la limite, ce qui est suffisant pour recevoir les clampins concernés, mais c'est aussi suffisamment peu pour leur donner envie de s'activer un peu ( activation relative tout de même....) de manière à rentrer chez eux à l'heure. Tout un art! Le mauvais plan, c'est d'arriver un samedi à 17 heures, par exemple.....gare à l'addition. Sinon, pour les formalités elle-mêmes, un modèle du genre; pas besoin de se déplacer par ses propres moyens de bureau en bureau comme au Costa Rica, pour s'y faire emmerder par des fonctionnaires revêches.....ici, rien de tout ça; les costumés viennent à bord à bord de leur barque, et parviennent à remplir en, disons une heure et demie, la douzaine de formulaires incontournables; les quatre officiers, des femmes en l'occurence, plus leur pilote d'annexe (ouh là là les manoeuvres d'annexes! on aurait dit un film de Chaplin....) opèrent avec une grande courtoisie et même une franche bonhommie, ce qui n'est pas forcémment si courant que ça dans leur profession. On vient à peine d'arriver et déjà j'ai envie de dire: les formalités Fidjiennes, une expérience à vivre!

Mercredi 4 Mai; Attraction numéro 1 à Savusavu: les sources chaudes. Tout à fait dans le même style que ce que nous avions connu aux Açores en début de voyage, en 2007. Une pauv' pancarte en bois d'arbre incite le visiteur à se rendre à une espèce de placette où sont délimitées par des pierres peintes en blanc les zones "piétonnables" en dehors desquelles sourd du sol de l'eau brûlante ou de la vapeur; d'où l'interêt du marquage, pour éviter de se retrouver en dix minutes avec des pieds mijotés, alors qu'on tape la discute tranquilou sans se méfier....Les voisins envoient ici leurs mômes déposer les légumes dans des sacs de toile pour que ça cuise dans les flaques. Devant le mouillage aussi, le long de la grève, les fumerolles trahissent par endroit la présence de cette étonnante et vaguement inquiétante activité sous-terraine.

Savusavu est une petite ville qui s'étire en longueur le long du rivage, au fond d'une baie bien abritée, avec une île juste devant qui donne au lieu l'allure d'un estuaire; la rue principale est comme dab bordée de nombreux magasins et échoppes de toutes natures et tailles. Ca grouille d'une populace paisible au sourire facile, dont la majeure partie est de type hindou ( mais j'ai aussi vu un dur comme aurait dit le regrétté Pierre Dac, avec qui je l'étais volontiers....). Des hommes cachent leurs jambes sous un sarong; la coutume vent que l'on exhibe ni les genoux ni les épaules. Jusqu'aux policiers, qui portent eux aussi le sarong: un modèle bleu marine terminé dans le bas par un frangeage triangulaire qui, je trouve, inhibe en partie l'habituelle crainte qu'inspire l'uniforme.

Le yacht club de la marina Copra shed organise chaque vendredi soir un barbeuq dont les bénéfices vont à l'école de voile; ainsi, on peut écluser quelques mousses entre copains tout en faisant sa B.A.. Chouette! Nous y retrouvons avec joie Néli et son mari, un couple de Serbes rencontrés à Curaçao il y a deux ans. Ils sont les premiers "yachties" serbes engagés dans une croisière autour du monde; leur canote est un bon vieux "Gin fizz" Jeanneau de 32 ans!

Les cartes marines de par ici sont toujours plus ou moins fausses! et c'est fâcheux car le coin est truffé de dangers à base de récifs corailliens épars, et aussi de blocs de pierre volcanique ; bref, c'est miné et pas trop balisé ( comme dit mon ami Nicolas: "moins c'est balisé, plus on balise"....il est balaise hein mon copain). Aussi, un des moyens de se balader là-dedans en minimisant les risques, c'est de se procurer les fichiers traces des canotes passés par là avant nous. Néli nous en a fourni une brochette que Malou est en train de décortiquer, cependant que je suis pleinement occupé à l'apéro, avec un oeil sur l'écran de l'ordi pour dire si ça m'interesse ou pas....ça, c'est la soirée du 10 Mai.

Vendredi 13 Mai: changement d'île. Vanua Levu s'estompe dans le sillage au même rythme que se précise Viti Levu, la grande île du sud, métamorphosant heure après heure une vague silhouette en un superbe paysage verdoyant de ces nombreux verts qui malgré leurs différences sont tous quand même plus ou moins la couleur de l'espérance. Peu de vent. Les diesels se relaient pour soutenir les six noeuds indispensables à une arrivée avant l'aurore. Il est quatre heures de l'après-midi lorsque l'ancre tombe au fond d'une baie ravissante et tranquille; tout à fait accueillante pour une nuit de repos.

Dimanche 15 Mai: Catafjord est content aujourd'hui; on lui a offert un peu de vent, bien placé comme il aime, par le travers, et il cavale ses 9 noeuds; on peut sentir que ça lui convient mieux que les cinq-six noeuds de ces dernières semaines...Ainsi, nous atteignons Waya, 25 milles à l'ouest de Viti Levu, en milieu de journée. Malou est ravie; les fonds corailliens sont magnifiques, et habités par des escadrons de poissons bariolés; ça nous change des eaux troubles de des derniers jours. Le mouillage bien protégé est tout de même un peu ventilé, ce qui permet à l'éolienne de faire son boulot. Un hameau, tout proche, sera à visiter demain; ça se présente bien.

Sauf que le radiotéléphone Iridium contient un message de nos amis Pascale et Nicolas, nous expliquant que "Badinguet", leur canote, est assez impatient de nous retrouver, une vingtaine de milles plus au nord.....comment refuser. Et c'est comme ça que la matinée de Lundi se passe à tirer des bords entre les récifs pour venir mouiller en début d'après-midi à Somosomo, jolie baie au nord de Naviti. Retrouvailles chaleureuses avec les "Badinguet" quittés en Septembre dernier à Tahiti. Puis, nous débarquons sur la plage, afin de présenter comme il se doit nos civilités à la doyenne/chef, en lui offrant le traditionnel bouquet de racines de kava. Elle nous reçoit pour le "sevusevu", qui est la cérémonie par laquelle l'autorité suprême du village est présentée aux visiteurs, accepte leur cadeau, et donne l'autorisation de circuler dans le village et de prendre des photos. Puis, nous sommes conviés à boire le kava. Assis en tailleur autour de la bassine sur une natte de pandanus, quelqu'un touille avec les "bilo", récipients faits d'une demi-noix de coco; on frappe une fois dans les mains quand le gars nous présente un bilo, on boit tout le contenu d'un seul trait, et on restitue le bocal vide avant de frapper trois fois dans ses mains; c'est la coutume. Je trouve ce rituel étrangement ressemblant avec la fête de la "chicha fuerte" chez les indiens du Kuna Yala, qui sont pourtant vachement éloignés....

Mauvaise nuit à Lautoka; déjà, la nuit précédente, passée dans la baie de Somosomo avec le vent face à la plage et le clapot correspondant, n'avait pas été la plus sereine qu'on ait connue. Mais, bon! la journée suivante fût agréable, et bien remplie: une belle navigation avec de nombreuses manoeuvres de voiles entre les reefs, terminée par un run à dix noeuds après avoir dépassé nos amis et leur SuperMaramu ( pas Badinguet, un autre ) sous le vent d'une île très jolie, dont je n'ai pas noté le nom, et, de toute façon, tout le monde s'en cogne....donc....en une heure, ils étaient devenus un petit point sur l'horizon, et nous arrivions devant Lautoka pour mouiller face au décor ingrat mais toujours cher à ma mémoire du port de commerce. Depuis l'époque de mes 17/19 ans, lorsque je naviguais à bord de cargos, confiné dans des salles de machines bruyantes et crasseuses, j'ai toujours gardé une tendresse particulière pour ces paysages de docks et de grues ( de manutention, je veux dire.....), qui caractérisent l'environnement marine marchande. Et puis, arrivés en début d'après-midi grâce à cette navigation rondement menée, nous avions suffisamment de temps pour rendre une petite visite au douanier, et une autre, plus conséquente, au supermarché à dessein de remplir le frigo. Cette bonne journée avait étée conclue par l'apéro en duo avec Madame, suivi d'un bon film pas très récent mais tellement regardable:"cinéma Paradiso" avec Ph Noiret; un régal. Au moment de filer dans les draps, le ciel chargé d'éclairs et les grondements du tonnerre ne présagent rien de bien poilant, mais, bon, c'est la vie. Ca ne peut pas être tout le temps voûte étoilée, sinon, on oublierait d'apprécier. Minuit; la pluie partèle le pont avec fracas depuis un bon moment, m'empêchant d'entendre si le vent augmente ou pas. D'ailleurs, au début, pendant même un assez long moment, il reste stable; ma vigilence somnole....et là, pan sur le pif: un putain de grain orageux avec vent furieux qui a changé de direction se déchaine contre Catafjord et fait déraper son ancre. Le canote fout le camp, livré à lui-même, remorquant les soixante mètres de chaine avec l'ancre au bout.....Je sors: beaucoup de liquide, peu d'air. A ma droite, une voix féminine hurle à s'en faire péter les ficelles vocales ( pas de corde sur un bateau, excépté celle de la cloche): c'est la voisine, dont nous abordons le bateau sans véritable heurt; disons qu'on le poudsse du coude......La pluie diluvienne, animée par quarante noeuds de vent, m'a trempé jusqu'aux os en une poignée de secondes, et je ne vois plus rien à travers mes lunettes dégoulinantes. Je suis transi. Montant en hâte dans la timonerie, je démarre les 2 moteurs et les embraye en avant lente pour étaler le vent, et éviter d'aller nous vautrer sur le plateau de corail en y entrainant les voisins, dont la Madame qui braille toujours. Malou est à l'avant et parlement avec eux. Ca dure, ça dure, ça dure.....puis ça se calme un peu, et nous remontons notre chaine mètre après mètre jusqu'à arriver "à pic"; et, là, stop! l'ancre est engagée dans une patate de corail et ne veut pas bouger. Après encore une bonne demi-heure de manoeuvres, Malou au guindeau, et moi aux moteurs, l'ancre est enfin à bord, parée à reprendre du service une centaine de mètres plus loin. Nous filons soixante dix mètres cette fois! Il est une heure du matin. Il pleut toujours, mais le vent s'est calmé. Etant encore bien sous pression, nous mettons du temps à trouver le sommeil; petite nuit. Au jour, après le ptit déj, une visite de courtoisie aux voisins avère des dégats très modestes, et tout se règle amicalement et promptement. N'empêche, mal dormi!

Vendredi 20, mais,

afin d'éviter encore l'onéreux "overtime", nous faisons aujourd'hui notre sortie officielle auprès des autorités; départ prévu à 14 heures! Selon les lois Fijiennes, on doit quitter le pays sans délai, sitôt tamponnée la clearence de sortie, avec interdiction formelle de faire escale avant notre prochaine destination, c'est-à-dire Nouméa....pas cool; d'autant que la météo n'incite pas à partir: mer très forte et vent pas peinard non plus! Tout à coup, clic, une idée géniale: on va se mettre hors la loi, en faisant une escale dans la délicieuse île de Malolo.

Plusieurs autre canotes en partance ont fait comme nous, dont nos potes les "Badinguet", et comme ça, on peut encore se faire une petite bouffe ensemble; c'est toujours ça que les Fidjiens n'auront pas. De plus, c'est très commode de venir là, car c'est sur le chemin de la sortie, et le mouillage est confortable; un lieu idéal pour attendre une petite clémence de la part de éléments.

Mardi 25 Mai; nous quittons le havre de Malolo Dimanche matin de bonne heure. La passe est franchie vers 9 heures, et derrière, c'est directement le contact avec la rude réalité: mer forte à très forte, creux de 5 mètres, vagues déferlantes, et le vent établi à plus de 25 noeuds, en atteignant 35 dans les surventes! Pas du tout confortable. Après 2 jours de shaker, la mer devient plus maniable et le vent descend en dessous de 20 noeuds. Catafjord se dandine au vent arrière sous grand'voile encore arisée et génois en ciseaux. Il nous reste encore 240 milles à parcourir avant la passe de Havannah qui marque l'entrée sud-est de grande terre en Nouvelle-Calédonie. Demain soir, peut-être....

Durant les longues heures de méditation qu'offre la navigation hauturière, je me prends à divaguer "histoire de France"; pourquoi pas? Et voici qu'il m'apparait une explication beaucoup plus rationnelle que celle qu'on a voulu me faire gober dans mon enfance concernant cette pauvre Jeanne d'arc, la pucelle d'Orléans, comme y disaient....Non que j'aie jamais douté de sa virginité, et, d'ailleurs, comment l'aurais-je pu, puisque les Anglais nous en ont administré une preuve formelle lors de la coupable opération de crémation verticale à laquelle ils se sont abaissés; tout le monde l'a alors constaté: il n'y avait pas de tirage....si ça c'est pas une preuve qu'elle avait bien préservé sa petite opercule de fraicheur. Non, c'est l'origine même de cette surprenante virginité tardive qui a motivé mes agitations cérébrales, avec, pour aboutissement, la conclusion que voici: à mon avis, cette brave fille avait bel et bien un compagnon, tout ce qu'il y a de plus standard comme gars, affublé du gentil prénom de "Léon", et qui aspirait comme tout un chacun à un minimum de "consommation". Sauf que, chaque fois qu'il faisait mine de s'approcher du jouet, à la faveur de l'obscurité et de la promiscuité de la paillasse conjugale, sa guerrière le repoussait gentiment, mais fermement en lui assénant à chaque fois sa formule magique, laquelle lui a consécutivement valu son célèbre surnom: "la pucelle dors Léon"