Jeudi 10 Mai; la nuit n'a pas été sereine.....le vent est monté à 30 noeuds, et, à la faveur de la pleine mer, le clapot dans la baie s'est accentué; bref, nous quittons Adolphus sans regret, et avec un ris dans la grand'voile.....lequel s'avère rapidement insuffisant, et donc, nous crochons promptement le deuxième dans "Torres strait", aux eaux émeraude/marron envahies de moutons; ça décoiffe jusqu'à 32 nds par moments. Sur les coups de neuf heures, le cap York est franchi et nous quittons l'océan Pacifique. Ca n'a l'air de rien, mais, nous, ça nous fait quèquechose d'entrer dans notre troisième océan, celui qui vaut mieux que deux tuloras..... (devinette à deux balles: pourquoi les hommes de la tribu "Malaki" sont-ils toujours maigres?.......Indien Malaki ne profite jamais.....). A présent qu'est accompli le franchissement du fameux détroit, reste encore une petite difficulté à se bouffer avant de pouvoir de nouveau glandouiller benoitement sur une mer clémente: c'est de se faufiler au milieu de tous ces p.d.s. de b.d.m. de bancs de sable dont au sujet desquels, il y en a partout, et nous, on fait comment pour s'esbigner de là?.....

je vous la fait courte: 17h; c'est fait! Catafjord a déposé délicatement son ancre sur l'écrin sableux du littoral occidental Carpentarien, lequel, de par son caractère souleventesque, se trouve à même de nous offrir les éléments de base nécessaires et indispensables pour passer une bonne nuit. Malou se baigne......s'en fout les crocos!

18h30; attablé dans le coquepite que je suis à vous raconter tout ça, le disque jaune en a profité pour semi-s'immerger dans l'horizon est c'est plusse que beau, cependant que mon verre de blanc est quasimment vide, mais ça n'a aucun rapport.....Malou fait une photo,..... tout en m'informant que le repas brûle pendant ce temps-là.....la belle vie quoi! Mais j'y pense tout-à-coup soudainement: y parait que Mitterand est de retour??????????? on me dit jamais rien à moi; toujours le dernier au courant.....

Vendredi 11 Mai; Traversée du golfe de Carpentaria: levés avant le soleil, nous mettons le canote en route, tranquilou, sur une mer plate, poussés par une modeste brise; ça démarre cool.......puis, la brise fraichit.....et il faut ariser partout pour le reste de la matinée. En début d'aprèm, ça mollit; alors on renvoie tout, pour tenir la moyenne......celle qui pourrait nous permettre, avec de la chance, d'arriver demain soir avant la nuit.....Au coucher du soleil, nous avons parcouru le tiers de la distance, à 9,5 noeuds de moyenne, alors forcémment, on y croit!.....puis la nuit nous engloutit, et apporte bientôt son cortége de tracasseries.....A minuit, nous sommes sous deux ris partout, abattant dans les grains de plus de trente noeuds; pas peinard......et pas bon pour la moyenne, car, entre les grains, c'est des "molles", et je n'aime pas être trop toilé la nuit. Ainsi, au petit jour, la moyenne s'établit un peu en dessous des neufs noeuds nécessaires, et il semble déjà hors de question d'arriver de jour. Tant pis, on renvoie tout de même toute la toile, pour bien avancer, et on rentrera à Gove de nuit. Je dois juste mettre en place rapido un système de secours avec les anciens feux de route rangés au placard depuis 3 ans, car le feu de tête de mât est tombé en carafe. Autour du bateau, des bonites sautent partout, comme pour se moquer; nous, on fait mine que rien, car le thazar de l'autre jour occupe encore le frigo, et nous ne saurions y accueillir d'autres invités.....les lignes de traine restent dans leur coffre, et pis c'est tout!

17h30, la terre apparait, causant toujours cette étrange et indéfinissable satisfaction; il reste encore vingt-cinq milles avant Gove...

22h; l'ancre descend dans les eaux calmes de la baie "Inverell" (Dalton?...), et nous ne trainons pas à rejoindre la couchette pour une bonne et entière nuit de sommeil en commun.

Dimanche 13 Mai: jour de lessive. Hélas, les bourrasques et les averses se succèdent toute la matinée sans discontinuer. Enfin, vers 15 heures, les éclaircies nous incitent à une visite du Yacht club voisin. Les gens y sont accueillants et souriants; nous lions connaissance. Le préposé au bar est propriétaire d'un très beau cata de 16 mètres sur plans Schionning qu'il a construit lui-même en douze ans......De retour à notre bord, peu avant la nuit, le ciel et le soleil s'associent pour nous produire un festival de couleurs en arrière plan de l'imposant complexe de transformation de bauxite. La terre est rouge par ici, chargée qu'elle est du précieux minerais. Ce site industriel perdu au bout du monde n'en possède pas moins un étrange charme un peu envoûtant; même les polluantes et nauséabondes volutes vomies au ciel par d'interminables cheminées ne sont pas dénuées d'une certaine grâce sous l'éclairage orange des milliers de lucioles de l'usine au crépuscule.....

Lundi 14 Mai; virée en biclous jusqu'à Nhulunbuy, la ville voisine, distante d'une douzaine de kilomètres. La piste cyclable est aussi charmante qu'inhabituelle, cheminant dans le bush, à quelques dizaines de mètres de la route des autos. Les eucalyptus abritent des colonies de cacatoès aux cris stridents d'apprentis crin-crin, et le sol est jonché de termitières, même aujourd'hui.....Nous sommes en pays aborigène ici, et l'on croise fréquemment de ces gens nettement plus bronzés que le vulgum Aussius. La ville, sans attrait, a cependant une personnalité marquée; cité minière à l'âme de bauxite, les rues sont larges et les espaces verts omniprésents; tout y est plus ou moins bruni par la poussière rouge.....ça fait salement exotique.

Mardi 15 Mai; le cap Wilberforce, que nous projetons de doubler pas plus tard que cet aprèm, non point pour en créer un deuxième, mais seulement pour passer notre chemin, nous fait l'effet d'un genre de petit Raz de Sein à la mode tropicale.....Les courants de marée, lorsqu'ils se trouvent opposés à un alizé musclé, peuvent lever une mer très dure. C'est pourquoi, arrivant de l'Est, il convient de s'approcher avec le flot, son courant portant alors à L'Ouest. C'est ce que nous faisons; et tout se passe pour le mieux; ainsi Catafjord se trouve-t-il au mouillage avant la tombée du jour dans une voisine baie bien abritée, et l'apéro n'en est que plus goûtu.

Mercredi 16 Mai; nous passons la matinée au mouillage; Malou va se faire une petite plongée, cependant que je répare les quelques bricoles qui ont déconné ces derniers jours. Le programme de l'après-midi s'appelle: "le trou dans le mur". L'île Raragala, basse sur l'eau, est longiligne, interminable, et en travers de notre route; ça, c'est ballot! En revanche, elle est naturellement scindée en deux par une sorte de canal d'environ 80 mètres de large, lequel constitue une attraction des plus digne d'interêt, en plus de raccourcir le trajet. Attention, toutefois à ne pas s'y aventurer le nez au vent et la mite sous le bras.....l'endroit est parcouru à chaque marée par un courant, qui peut atteindre 10 noeuds en période de vives-eaux, avec la particularité marquante de charrier ses eaux exactement à l'inverse de la règle courante en mer d'Arafura, où le flot porte à l'Ouest. Lors de notre passage au yacht club de Gove, un document nous a été gracieusement remis pour espiquer tout ça en long, en large et en profondeur......hélas, avec une erreur concernant les horaires à Gugari rip.....et, donc, nous nous pointons une heure trop tôt! tant et si bien, qu'au beau milieu du bazar, nous sommes comme dans la Loire en crue avec cinq noeuds de courant dans le pif et plein de violents tourbillons tout partout.....un peu chaud, le passage! Par contre le spectacle est unique; et Malou fait bien crépiter le Pentax (halte aux contrepèteries....). Une heure plus tard, nous mouillons dans Guruliya bay et c'est encore magnifique; mini-falaises de roches feuilletées, quelques tâches de terre rouge pour contraster avec la végétation traditionnellement verte, plages de sable blanc, un ciel de crépuscule coloré comme un dessin d'enfant.....et Catafjord, toujours seul au mouillage....

Jeudi 17 Mai; Guruliya bay est laissée derrière nous vers 8h30 pour cingler sans escale, au prix d'une nuit en mer, directement vers le cap Don, extrémité nord-ouest de l'Australie; profitons de la météo idéale qui nous est allouée: petit vent portant , mer calme, ciel bleu! Malou voudrait que nous hâtions l'annuel voyage en France, initialement prévu à l'automne, car la santé de son frère Jean s'est encore dégradée.

Samedi 19 Mai; nous avons bien progressé vers l'Ouest. Les courants de marées n'étant pas favorables à une deuxième navigation nocturne, à l'approche du détroit de Dundas, nous avons opté pour une escale de repos, la nuit dernière, mouillés sous le vent de Oaxley Island.

13h; le souffle d'Eole, qui n'a pas failli jusqu'à maintenant, semble se mettre en ouikène..... Plus qu'une centaine de milles avant Darwin; mais ce ne sont pas les plus faciles......Question courants de marées, le quartier s'apparente un peu à la Pointe du Raz. Pour le moment, voiles en ciseaux, le génois débordé par le bambou recyclé ( mon nouveau système est bien mieux que celui d'avant), nous avançons à 5 noeuds, poussés par une brise de fond de culotte, sous un ciel un peu morne.

Lundi 21 Mai, 9h30; au mouillage depuis hier soir dans Béatrice bay, nous attendons l'heure de la marée avant d'appareiller pour notre ultime étape vers Darwin, à peine à quarante milles d'ici. Fait rare ces derniers temps, nous avons un voisin de mouillage; un bateau en acier à gréement de goélette aurique......immatriculé à Sydney. Les Australiens sont, en général, peu enclins à lier connaissance avec les équipages de rencontre, et celui-ci ne fait pas exception. La traversée du golfe Van Diemen s'est très bien passée hier, aidés par une jolie brise par le travers qui nous a permis de tenir la moyenne contre presque trois noeuds de courant. Heureusement, tout de même que nous étions partis dès le lever du jour.

17h: et voilà accomplie la dernière étape. Catafjord a mouillé son ancre dans Fannie bay, juste à l'ouest de la ville de Darwin. Encore une soirée magnifique; ciel d'azur, coucher de soleil en technicolor; et demain, découverte de la ville.....