Dimanche 13 Juillet; départ Darwin

ça y est! l'horizon fait tout le tour du canote. En fin de compte, c'est à ça qu'il sert l'horizon; à faire le tour. C'est un peu le bord du bocal. Nous venons juste de finir de déjeuner, la mer est plate; le soleil saupoudre des milliards d'éclats sur les vaguelettes, cependant que nous cinglons vers le Timor ouest. Pour le moment, question vent, c'est assez timide, mais nous avons dans la coque babord quatre pistons de chez Yanmar qui dansent dans leurs chemises pour y pallier et pas seulement de vilebrequin...... (comme aurait dit le pote à Jacques Martin).

Lundi 14; le décor a peu changé globalement,.... à l'exception peut-être de la mer, qui n'est plus du tout un lac.....vers minuit, le vent s'est levé, et a grimpé direct vers les 30 noeuds, levant presque instantanément une mer escarpée. Nous avons rapidement croché un ris, puis tangonné le génois, au petit matin. C'est moins confortable qu'hier, mais la moyenne est toute autre également....et toujours sous un soleil radieux. Malou, plongée dans le guide sur l'Indonésie s'évertue à apprendre quelques mots de Bahasa indonésia....

Mardi 15; troisième jour de mer, encore différend des deux autres; l'alizé s'est stabilisé autour des vingts noeuds, la mer s'est assagie en conséquence, et le ciel s'est paré de cumulus sans malice. La grand'voile a conservé son ris, par prudence, par paresse, parce qu'on n'est pas préssés.....Malou a mijoté un bon frichti; le canote glisse en douceur à un petit huit noeuds, la vie s'écoule doucement.

Chaque jour apporte son lot de petites anecdotes, tantôt cocasses, tantôt dénuées d'intêret, et voici que je sens poindre en ma plume une pression écritoire pour vous en narrer une de pas plus tard que ce matin. Fouillant l'horizon de mon oeil inquisiteur à la recherche de quelque objet flottant, je distingue nettement ce qui m'apparait immédiatement être une voile; préhension rapide du matériel binoculaire à dessein d'une confirmation; bingo! c'est bien un voilier. Un monocoque grée en ketch pour tout vous dire. En tant que tel, il se dandine d'un bord sur l'autre comme le balancier de mon métronome. Je dois l'avouer, ma reflexion immédiate se porte sur ce ris dans notre grand'voile,..... avec seulement vingt noeuds de vent,..... la honte sur celui qui ne l'a pas encore largué, même avec les très bonnes raisons invoquées plus haut.....allons-nous plus vite que l'autre voilier, ou non? après tout, on s'en fout; on verra bien; et puis ça n'a pas la moindre espèce d'importance.....n'empêche....il ne s'agirait pas que nous nous fissions distancer pas n'importe quelle barcasse.....surtout avec seulement une coque.....bon. On ne va tout de même pas larguer ce ris rien que pour lui alors que tout va si bien. Je vais gérer la situation par la méthode corse: faire une sieste d'abord. Bien m'en prend; ouf!!! malgré ce funeste ris, à l'issue de ma sieste, la strapanelle inconnue est loin derrière, ce qui n'est que justice, me semble-t-il. Il n'empêche, bien que je m'en tamponne comme de ma première blenno, il m'a fletri ma sieste l'autre là, avec son sketch; j'arrétais pas d'y penser; c'est dingue ça! Faut faire gaffe quand même; des fois, dans la vie, c'est vite fait de se pourrir le bonheur avec des broutilles

Minuit; Timor est là, par le travers tribord, sous le projecteur lunaire. Nous ne sommes pas timorés pour autant, et mettons le clignotant à droite pour nous engager dans le détroit qui mène à Kupang ( ce qui signifie "coupe-ongle" en javanais...drôle de nom pour une ville. Enfin, c'est toujours mieux que "coupe-jarret" par exemple....). Le vent est resté soutenu, et s'est même un peu renforcé, ce qui m'autosatisfactionne grâve d'avoir conservé le fameux ris ( depuis une trentaine d'heures qu'il aurait pû être largué.....mais, bon, on va pas y revenir).....encore quelques milles et c'est le calme d'un côte sous le vent. Les voiles s'esquivent; puis nous approchons au moteur, pour mouiller devant le village de Toblolong, en prenant soin de ne pas s'empêtrer dans les parcs à huitres; merci au clair de lune. Un heure du matin: la pelle descend râcler l'Indonésie, immobilisant Catafjord pour une courte nuit de bon sommeil. Vu comme nous apprécions le calme et la tranquillité, Malou s'interroge: "caisse qu'on fout à bord d'un voilier ?"....."je sais pas", dis-je.

Mercredi 4 juillet:

Pittoresque! c'est le mot qui me vient pour évoquer notre premier contact avec Kupang. D'abord, les formalités d'entrée sont l'occasion d'un brave dépaysement pour le voyageur en provenance de l'Australie. Passés les délicats instants du "beachage" sur la petite plage jonchée de détritus divers, se mettre tout de suite en quête de notre agent, le sieur "Napa, sans qui l'affaire serait nettement plus délicate. Peu de gens parlent anglais ici; un quidam se propose spontanément de nous le chercher. Il part sur sa mob, revient bredouille, téléphone, et, soudain.......Napa est là, comme on dit au pays des castagnettes.....Il nous guide vers son bureau, qui se trouve être également sa demeure. On y pénètre nu-pieds. Arrive ensuite le préposé à la quarantaine: Monsieur Abdullah......une caricature! Napa lui propose un siège; Abdu s'assied......environ une minute......puis repousse la chaise et se pose à même le sol, un talon sur les burnes, et l'autre jambe allongée devant lui, dispersant autour de lui les nombreux papelards, tampons variés et l'indispensable encreur. Il officie ainsi, directement sur le carrelage, signant, tamponnant, tout en nous exhibant sur son téléphone portable dernier cri les vidéos de ses dernières vacances, et, la photo de sa femme.....Enfin, il nous annonce le montant de ses services: 300000 roupies!!!!! ça calme ce nombre: trois cent milles, non? bon, faut relativiser: il est tout de même nécessaire de réunir 12000 roupettes pour faire un seul euro; c'est pas un oeil non plus! Un peu plus tard dans la soirée, la visite du douanier à bord constitue encore un modèle du genre, dans un registre différent. L'homme a rendez-vous a 17h sur la plage et doit visiter les trois canotes arrivés ce jour ( dont le sketch dépassé hier qui est un Amel avec des américains à bord; sympas). Le fonctionnaire, lui, croit n'avoir qu'un seul client.....aussi, le temps lui manque. La nuit est presque là lorsque vient notre tour , et Monsieur gabelou n'a pas dans l'idée de moisir trop longtemps dans le quartier. Déjà, il nous annonce vite fait que nous n'aurons pas son papelard ce soir car il n'en a apporté qu'un seul pour les trois clients, et, donc, Napa nous apportera tout ça demain dûment tamponné et signé, pas de problème. Voilà, ça s'est fait; voyons à présent le deuxième point :"avez-vous de l'alcool à bord?".......moi, sans sourciller: "non, j'aime pas ça"!..... un peu incrédule, le gars souricane ( c'est sourire en ricanant)...... et insiste: "du vin?".....moi: "deux bouteilles en tout et pour tout"......( je sais, ça peut faire rigoler, mais on se connait pas le douanier et moi; alors...). Et là, la récompense: "bon, tant pis, j'y vais" décide-t-il soudain, et il prends la direction de la sortie!!!! Durée totale du sketch: même pas dix minutes! c'est un beau pays l'Indonésie; j'aime déjà.

Sinon, Kupang est cradingue et bruyante, mais cependant plaisante malgré tout, car les gens y sont aimables et souriants.

Jeudi est un jour qui démarre moyen.....le vent est fort et le clapot qui en résulte rend le beachage délica. Ce qui explique sans doute qu'en arrivant je me vautre lamentablement dans la flotte avec mon sac à dos contenant l'ordinateur pour internet.....pas de casse, par bonheur. Revenant à bord pour me rincer et me changer, panne d'essence ( je soupçonne que des jeunes gredins en mob m'ont vidé le réservoir hier ....) bref, deux cents mètres à l'aviron contre vingt-cinq noeuds de vent, ça prend "un certain temps....". Revenu à terre, l'annexe remontée en haut de la plage avec l'aide des populations locales, un jeune comique est tombé à l'eau en chavirant avec sa pirogue en bois d'arbre et dérive inexorablement vers le large.....remise à l'eau du dinghy pour aller tirer le gars de ce mauvais pas. Quand c'est réglé, il est onze heure, et toujours pas un chapeau de vendu! y a des jours.....

L'après-midi est mieux.

Le moyen de locomotion populaire s'appelle "bémo". Imaginez quelque modeste monospace, disons genre "scénic" de chez Renault par exemple, transformé en minibus. La porte latérale définitivement ouverte encadre un gamin de seize ans, sorte de "poinçonneur des lilas" exotique, serrant d'une main sa liasse de billets et s'aggrippant avec l'autre pour maintenir son équilibre, une jambe pendant à l'extérieur du véhicule avec une nonchalance crâneuse. Cette position avantageuse lui permet d'apostropher les passants dans le but de débusquer son prochain passager. Sur un simple signe de tête de notre part, le chauffeur d'un de ces engin donne simultanément deux furieux coups: de volant et de frein pour se poster à notre proximité. S'agit maintenant de monter à bord. Un monospace, ça ne permet pas de conserver la tête haute à l'embarquement ( même Malou....). Aussi, c'est "cassé en deux", la tête au niveau du nombril, que le regard embrasse à l'intérieur, cet alignement de genoux juxtaposés qui doivent sans certainement être surmontés de bustes....., mais là, on peut pas voir. A l'intérieur, point d'espace entre les paires de genoux; l'affaire s'annonce délicate. L'exercice consiste à présent à choisir un interstice prometteur (entre les paires de genoux).....et à y immiscer la partie charnue de notre individu, de manière à provoquer un léger mouvement de translation de la part des abdomens adjacents.....et, hop! ce faisant, voilà une place supplémentaire! De prime abord, on peine à y croire, mais en définitive, ça marche superbien; et d'ailleurs, les résultats sont là: une vingtaine de passagers parviennent à voyager ainsi sur des kilomètres pour la modique somme de 18 centimes d'euro! dans ce véhicule prévu à son origine pour 6 personnes.....Le dernier arrivant est encore en phase d'introduction dans ce qui sera peut-être sa place, que déjà, la charrette redémarre; ce qui est fort judicieux de la part du chauffeur, car les mouvements cahotiques facilitent grandement le placement des différents éléments du groupe de popotins concernés, lesquels trouvent rapidement leurs marques grâce à la conduite nerveuse du gars.....le sus-nommé "chauffeur".....un type un poil plus agé que l'ouvreur; disons qu'il doit bien avoir dix sept ans et demi au moins, celui-là. Notre as du volant utilise avec brio tous les accessoires de pilotage à sa disposition: le klaxon d'abord, puis l'accélérateur, et enfin le frein....Il est un peu joueur le garçon; coursant volontiers les mobylettes à grand renfort d'avertisseur; surtout celles équipées d'une jolie passagère. Détail technique majeur: les deux bancs latéraux qui servent de receptacle aux fessiers clients ne se limitent pas à cette seule fonction; ils abritent également les deux baffles de deux cent watts chacun qui assurent, et avec quel brio! la sonorisation de la boite à passagers, mais pas que ça. Car au delà de la diffusion musicale, la deuxième fonction de ces monstrueuses boites à sons est à n'en pas douter l'administration par voie intrafessière de massages stomacaux issus des insondables basses délivrées par leurs puissants haut-parleurs, et transmises directement dans le fondement des consommateurs;..... un genre de massage indonésien itinérant sans doute. Personnellement, je n'en connaissais pas l'existence.....je découvre. Arrivés à destination, un imperceptible mouvement de hanche suffit à provoquer une éjection immédiate, tant la pression interne est élevée. S'en suit un bref échange de billets de mille avec le portier, sans oublier de lui réclamer la monnaie......( quelques centimes....mais pour le principe; faut pas donner des mauvaises manies aux jeunes.....), et nous voilà sur le trottoir, à même d'admirer la déco extérieure de notre carrosse. Il y a de la couleur! mais pas que ça.....y a aussi des trucs écrits....pas toujours les mêmes suivant l'équipe de pilotage; disons que c'est personnalisé: ça couvre une assez large palette de préoccupations humaines, allant de la religion au cul en passant par la politique.....

Un truc bien agréable, ici, en Indonésie, c'est qu'on a quelques raisons de se sentir immensémment riche. Un exemple: vous décidez d'acquérir trois cent litres de gas-oil pour remplir les réservoirs du canote. Toutes les transactions commerciales se font en "cash". Vous vous rendez donc au distributeur de billets du coin, et en repartez avec.....deux millions de roupies! eh oui! personnellement, j'ai rarement retiré deux millions pour les fourrer dans les poches de mon short; un million dans chaque poche! Et en plus (comme dit Etienne....), le gas-oil s'achète la moitié du prix Australien, ici!.... richissime, vous dis-je!