Dimanche 5 Août; une rangée de rouleaux barre l'horizon à l'endroit même où j'avais idée de passer pour quitter l'île Lembongan.....et pourtant, il est certain qu'il n'y a pas de reef à cet endroit! En réalité, ces turbulences sont le fait d'un puissant courant, énérvé sans doute par la rencontre du plateau continental, et qui en profite pour empoisonner son monde avec ses vagues même pas nettes. Une fois passée cette zone de collines liquides, ledit courant nous propulse à vive allure vers Serangan, au sud de Bali. L'approche réclame beaucoup de vigilance, comme en témoigne muettement l'épave de ce cargo qui rouille placidement, perché sur la barrière de corail. La passe franchie, le mouillage est bondé; par chance, les gars chargés de l'accueil et du placement sont aimables et efficaces, et nous sommes bientôt arrimés à un solide corps-mort.

Mercredi 8 Août; fête de la St Dominique; nos amis de Magalyanne ont eu la géniale et généreuse idée de nous inviter, pour la journée, à une excursion à bord de leur automobile de location. Un petit accrochage tente d'assombrir nos humeurs joyeuses,... avec de maigres résultats: un peu de tôle éraflée, d'amour-propre égratigné, de plastique fendu......des broutilles. A nous Bali "inside", hors des sentiers touristiques, à la rencontre d'authentiques Balinais. Mon ami Jean-Luc est aussi attiré que moi par les engins divers ayant vocation à se maintenir à la surface de l'eau, et pourquoi pas, soyons fous, à s'y mouvoir.....aussi, nos pas nous mènent-ils vite-fait le long de la côte sud-est de Bali pour y découvrir quelques curiosités locales......mais, revenons à Denpasar, la grande cité qui occupe tout le sud de l'île. Tout au long de la quatre-voies, un peu merdique et très encombrée, une suite ininterrompue de boutiques offre à la vente de véritables trésors artistiques; en particuliers, les sculptures en bois, et surtout celles en pierre volcanique noire sont là par milliers, avec leurs invraisemblables finesses et sophistications; on croirait circuler dans l'allée principale d'un salon de l'artisanat étendu à toute l'île! L'origine probable de ce foisonnement créatif est peut-être à rechercher dans l'hindouisme, car, ici, on trouve des temples à tous les coins de rues, et même les plus modestes sont déjà abondament fignolés. Au hasard d'un chemin à peine carrossable, perché sur une colline face à la mer, nous en visitons un; de taille respectable. Une vieille dame s'affaire au "ménage" à l'aide de son balai en bambou et palme; les dernières offrandes, déposées au sol dans de petits paniers tréssés, sont encore comestibles: une banane, un peu de riz, quelques fleurs de couleurs différentes. Ces modestes présents, qui se retrouvent absolument partout, donnent à la ville un style particulier genre "merdier de la teuf d'hier soir pas fini de ranger".......

Sable noir, gravier noir, heureusement que la mer est bleue, sinon, on croirait le littoral en deuil. Deux jeunes gars costauds "pêchent" du gravier dans les rouleaux d'écume à l'aide de sacs, qu'ils transportent à l'épaule, un peu plus haut, sur le plancher de buffles. Là, des dizaines de "trieuses" s'affairent à "cueillir" les petites pierres une à une, par couleur et par calibre; les sacs se remplissent et seront vendus à fin de servir à la décoration de sols, ou de murs, voire de vases ou de statues. Je ne sais pas combien ce travail leur rapporte quotidiennement, mais j'ai dans l'idée que ces gens là ne sont pas embarassés de problèmes avec leurs comptes en banques.....pour tout dire, ils n'ont, dans l'ensemble, pas de quoi envoyer leurs enfants à l'école, comme beaucoup d'Indonésiens. Et pourtant, quelle fraicheur! toujours prompts à sourire, ils ne semblent pas malheureux. Nous en verrons ainsi des centaines, répartis sur une grande partie du littoral, triant leurs petits cailloux à longueur de journées.

Notre attention est attirée par ce qui semble bien être un mini chantier naval; de fait, nous nous retrouvons bientôt à prendre le frais sous son toit de palme en devisant avec les hommes de l'art devant trois courtes pirogues en cours de fabrication. Simple tronc creusé à l'aide d'un outil manuel, les assemblages sont toutefois renforcés à la colle époxy. Pour les bras de liaison, les bois courbes sont obtenus en plantant des arbres dont ils contraignent le tronc dès le début à l'aide de ficelles pour l'obliger à pousser à la forme désirée! belle leçon de patience et de savoir-faire.

Un peu plus loin, c'est le retour de pêche pour ce canote en bois d'une bonne vingtaine de mètres. Mouillé devant la plage, la poupe dans les rouleaux d'écume, ses marins débarquent à bras les dizaines de paniers de poissons qu'ils portent sur la plage. Là, un deuxième defilé ininterrompu se met en place, celui des femmes, les "mareyeuses", qui les portent sur leurs têtes jusqu'aux camions, plusieurs dizaines de mètres plus loin. Peu de mots sont échangés, cependant que des centaines de kilos de poisson passent ainsi du producteur au consommateur dans une belle harmonie.

Dimanche 12 Août; journée barbeuc.....Nous avons loué un scooter pour nous rendre à Klungkung, distante d'une cinquantaine de kilomètres. Pas cool la conduite d'un scoot ici.....c'est le moyen de transport de loin le plus répandu et il y en a des myriades, évoluant avec une extravagance toute orientale.....bien sûr, il y a des règles précises, et connues......mais disons qu'elles donnent lieu à d'innombrables interprétations personnelles, et, donc, presque tout est possible......comme par exemple rouler à contresens.....les klaxons ne chôment pas. Ouvrir l'oeil est nettement insuffisant. Il s'agit surtout de rester concentré au maximum....a temps plein; épuisant! Bref, nous voici enfin parvenus à Klungkung, sur les lieux de la cérémonie à laquelle nous avons été invités: une crémation. Une grande majorité de la population balinaise est de confession hindouiste. Leurs défunts sont incinérés selon une tradition et un process très anciens. Les cérémonies sont fastueuses et coûtent cher; aussi, lors d'un décès, l'heureux élu est enterré pendant un délai qui va de quelques mois à cinq ans maximum; puis ses os sont exhumés et réunis en un paquet gros comme disons un bébé de six mois.....lorsque l'argent nécessaire à été réuni, on fait fabriquer par les spécialistes, un gros animal en bois et chiffons, genre une vache, ou un lion, un peu stylisés mais à taille réelle, que l'on arrime sur une sorte d'immense palette en bambou afin de transporter le tout jusqu'au lieu de la cérémonie en une joyeuse procession. Une fois installée sur son bûcher, la bestiole subit une intervention chirurgicale bénigne mais indispensable: on lui taille, à l'égoïne, une trappe dans le dos, a fin d'y introduire les paquets d'os de tous les morts concernés. Aujourd'hui, notre vache noire accueille en son sein pas moins de onze squelettes.....raz les tétines qu'elle en a la vache....d'ailleurs, je ne vois pas pourquoi je vous parle de vache alors que le bazar démesuré qui fait le balancier entre ses pattes de derrière laisse à penser que.....bref, c'est pas le sujet.....une procession s'organise autour des deux bestioles du jour, la vache noire sévèrement burnée, et le lion rouge qui ne l'est pas moins; les porteurs de fagots osseux doivent faire trois fois le tour avec leur colis sur l'épaule, avant que le préposé ne procède à l'introduction. Pendant ce temps, deux groupes de trente deux musiciens, assis sur le sol, distillent les sons délicats de leurs instruments: gongs de différents diamètres, bambous fendus, et ces délicieux xylophones à quatre ou cinq lames vrillées comme des hélices qu'ils frappent à l'aide d'un genre de pic à glace en bois. Tout est maintenant en place. Les bûchers sont au nombre de trois; en plus des deux bestiaux, il y a entre eux une espèce de tabernacle qui recèle aussi son lot d'os. Enfin, la scène s'enflamme. Les feux sont entretenus longuement, jusqu'à parfaite crémation des paquets d'os. Les cendres seront ensuite recueillies et transportés avec cérémonie, en procession, jusqu'à la rivière la plus proche, qui les conduira naturellement à la mer afin de libérer l'âme du défunt de son enveloppe terrestre, lui restituant ainsi la faculté de se réincarner. S'il s'est élevé spirituellement durant son passage ici bas, il reviendra en être humain d'une condition meilleure, alors que si il a merdé, ben y va revenir sous forme d'une pauvre bestiole, plus ou moins ragoutante, genre un chat ou un chien, mais aussi peut-être une fourmi rouge ou bien une méduse....tout est possible. Personnellement, j'aimerais pas trop être réincarné en manthe religieuse; déjà, on baise que une seule fois dans sa vie, et tout ça pour se faire bouffer par la dame à peine versée la dernière goutte de sirop magique.....merci bien! (elle pourrait au moins attendre le petit assoupissement post-coïtal......). En tous cas, honnêtement, des obsèques comme ça, avec le petit coté carnaval, c'est vachement pas triste, au contraire même.

Pour autant, n'allez pas imaginer que notre escale balinaise ne soit que farniente....ouh là là...que nenni! quelques brave corvées viennent nous ramener à la réalité: déposer le génois pour le faire recoudre....puis le remettre sur son enrouleur malgré le vent qui souffle tous les jours avec une régularité de métronome; approvisionner cinq cent litres de gas-oil en transportant à bout de bras les bidons de vingt litres sur quelques centaines de mètres entre le dinghy et la station; ceci dit, à quarante centimes d'euro le litre, on est motivé.....

Pour l'alternateur babord, en panne depuis des mois, la chance est avec nous; un artisan efficace et honnête nous résoud le problème pour deux cent dollars, incluant la fourniture d'un nouvel alternateur et la réparation de l'ancien!

Boulot encore, mais avec un aspect ludique indéniable, cette fois: remplacer l'hélice de Magalyanne pour faire plaisir à l'ami Jean-Luc......à quatre pattes dans la gadoue, à marée basse.... heureusement, ils sont d'agréable compagnie.

Jeudi 16 Août; notre séjour à Bali tire à sa fin. Nous n'avons vu qu'une très petite partie des nombreuse merveilles que recèle cette île passionnante; il faudrait des pages et des pages pour évoquer ses charmes: cerfs-volants, algues séchées, danses balinaises, volcans plus ou moins actifs.....et cette gentillesse des gens......

Les "Badinguets" sont de retour. Alors, forcémment, on se fait une petite teuf.....normal. Capucine et Adrien, un couple de jeunes navigateurs qui réalisent un superbe tour du monde à bord de leur rapide "Capado", font partie de la fête; des gens de grande qualité; j'éspère qu'on se reverra; ils partent demain matin pour traverser l'océan Indien, avec le passage de Bonne Espérance prévu pour Décembre prochain. Bon vent!

"Magalyanne" appareillera au même moment pour un parcours similaire. Alors, à plus, les amis.......