samedi 22 Septembre; mouillés à proximité de Sekupang, sur l'île Batam, depuis maintenant deux jours, notre croisière Indonésienne approche de son terme. La proximité du dieu argent qui possède un trône d'été à Singapour a bien pesé sur le paysage environnant. C'est dans l'ordre ordinaire des choses, bien sûr. Premier symptôme, le petit gars propre sur lui qui vient nous pleurer de l'alcool à bord de sa barque à moteur.....(cependant que quelques besogneux pêchent à l'aviron, à proximité et sans alcool....). Notre route pour Sekupang nous mène à travers une prodigieuse zone industrielle navale; je dirais bien dix fois les Chantiers de l'Atlantique de St Nazaire. Sur un paquet de kilomètres, c'est une suite ininterrompue d'objets flottants en construction: des barges principalement, monstrueuses ( peut-être cent mètres de long), mais aussi des cargos, des remorqueurs, des plateformes pétrolières, ainsi que quelques chantiers de déconstruction tout aussi démesurés; impressionnant! Je retrouve des odeurs de nos vingt ans, lorsque nous construisions notre premier bateau en acier: un mélange d'huile chaude, de laitier de soudage et de sciure de meuleuses, avec, en fond sonore, le sifflement lancinant des sableuses mélé au ronron des compresseurs.....un bonheur!

Sekupang, avec ses terminaux de ferrys, grouille de gens en transit; c'est comme une sorte de plaque tournante de main d'oeuvre, au rythme étourdissant pour qui arrive de villages paumés, comme c'est notre cas. Pour acheter quelques vivres, il nous faut aller en taxi à Nicoya, la ville principale, distante d'une douzaine de kilomètres. Mauvaise nouvelle: pas de pinard.....et le niveau de notre cave qui est au plus bas.....

Après une étude documentaire approfondie et une réunion au sommet studieuse de l'équipage au complet, il est décidé que Catafjord ne fera pas escale à Singapour. Trop cher, trop compliqué, trop chiant....nous irons mouiller directement en Malaisie, à Johor Barhu, juste au nord de Singapour; il sera alors aisé de nous y rendre en bus comme des tas de Malaisiens ordinaires.

dimanche 23;

journée de merde! pourtant, je ne suis pas très "gros mots" comme mec; mes amis vous le dirons tous; mais là, on peut pas dire moins. Tout le dimanche entier consacré aux formalités de sortie.....qui ne sont toujours pas terminées à 17 heures. "faudra revenir demain" a conclu le crétin costumé de service. Faut dire que c'est du boulot aussi: une feuille de papier avec un tampon et une signature! Le tampon sur les passeports, ça, c'est fait, mais ça a pris quatre heures quand même: nous nous sommes fait promener de bureau en bureau et il a fallu déplacer le canote pour nous rendre 2,5 milles plus loin à un autre bureau....mais, bon, c'est fait! alors que la clearence de sortie......

lundi 24, 6 heures du matin; nous sommes devant le bureau du grand maigre, comme convenu......mais le bureau est fermé et vide. Je commence à sentir monter en moi comme qui dirait un genre d'éxaspération, tout-à-fait déplacée, sans doute, mais compréhensible cependant.....souhaitons que je ne devienne pas désagréable; ce serait malvenu....6h30; notre guignol apparait! jovial, l'air décidé à accomplir son oeuvre empreinte de majesté, de tamponneur/signeur de papier. Le poids de ses responsabilités lui donne une dimension, que dis-je une dimension?, une hauteur, que le vulgum pecus ne saurait imaginer, même dans ses cauchemards les plus horribles.....les minutes s'égrènent ( l'éléphant barrit, la poule caquète, mais la minute s'égrène! c'est la règle. Manquerait plus que la minute barrisse.....de même, si la poule s'égrène....alors c'est de l'antropophagie.....mais peut-être m'égare-je). Le petit personnel s'affaire, qui à l'ordinateur, qui à l'imprimante. Le préposé aux tampons s'exprime en exhibant une impressionnante collection qu'il dispose en bouquet sur le bureau du chef. Bureau au dessus duquel une belle pancarte rappelle les directives gouvernementales: professionalisme et efficacité!.....ne boudons pas notre plaisir: à 7 heures pétantes, la Miloude et moi-même sommes de retour à bord avec la p....de clearance en bonne et dûe forme. Bon, "bonne et dûe forme" est un tantinet optimiste dans le sens où, le gouvernement n'ayant pas prévu le formulaire ad hoc, il se trouve que la clearance de sortie est une clearance d'entrée dans laquelle les rusés fonctionnaires ajoutent par ci par là le petit mot qui va bien pour que le libéllé ne soit pas totalement insensé.....comme je le mentionnais précisemment quatre lignes plus haut: professionalisme et efficacité; qui s'avèrent être, in fine, les deux mamelons dilatés du fonctionnaire indoniaisien.

8 heures: c'est drôle comme on se sent bien en mer après ces tracasseries de t'es-rien....pourtant, tout n'est pas que facile, loin s'en fout. Voyez plutôt: le rail de cargo que nous traversons en ce moment est particulièrement fréquenté; environ un cargo toutes les cinq minutes! Eh bien, c'est précisemment le moment que choisit le moteur babord de Catafjord pour faire son intéressant en pétant sa courroie! Bon, ben, professionalisme et éfficacité, je peux vous dire que ça n'a pas pris beaucoup de temps pour la remplacer, cette sal.....malgré le moteur encore brûlant.....les gens croient qu'on fait rien qu'à s'amuser tout le temps....je me gausse.....bon, faut pas exagérer non plus, c'est moins pire que d'accoucher sans péridurale de ses premiers quintuplés; je dis ça, c'est une image; moi j'accouche jamais; ça me dit rien ce truc.

Nous passons encore quelques pêcheries et autres villages sur pilotis, puis Singapour apparait dans la brume équatoriale. Industrieuse, moderne, des cargos et pétroliers mouillés là par dizaines.....

Un pont suspendu barre notre route; la carte marine en spécifie la hauteur sous tablier: 25 mètres. Notre tirant d'air est de 23 mètres.....ça ne constitue pas ce que j'appelle une marge confortable, mais, bon, ça passe. Encore quelques tours d'hélice, et nous voici à Johor Bahru; bonjour Malaisie. Nos badinguets sont là depuis deux jours et c'est toujours un plaisir de les retrouver, ces bourricots.....ils nous font gentiment profiter de quelques conseils judicieux pour faire nos premiers pas dans ce nouveau pays.

Mardi 25; soirée Cataf; nous avons invité quelques copains de marina pour une petite sauterie-apéro destinée à fêter..... la soirée d'hier chez Badinguet. Auparavant, il nous faut procéder à quelques approvisionnements en conséquence car il y a là certains vigoureux coups de fourchette et autres leveurs de coude infatigables....Le "giant", à dix minutes en bus, est parfaitement adapté à la situation. Aussi, tant que nous y sommes, nous déjeunons sur place, dans une galerie marchande bien pourvue en gargottes nourissantes et bon marché. Je ne sais pas si c'est qu'on a l'air si godiche ou quoi, toujours est-il qu'un couple attablé nous hèle pour nous guider de leurs conseils. La démarche est sympa déjà; mais c'est pas fini.....au moment de régler leurs repas, la dame se lève, passe près de nous, et dit d'un air entendu:"je vais payer aussi pour vous"!!!!!!!! et elle le fait! Cependant que son mari s'approche pour nous faire la causette pendant ce temps-là. Puis ils nous quittent avec un jovial "nice to meet you", comme si de rien n'était. Hallucinogène, non? ( chez les cannibales la formule c'est "nice to eat you....").

Mercredi 26 septembre; nous partons acheter du gas-oil à la station service, nos deux jerrycans à bout de bras; à 0,5 euro le litre, c'est plutôt avantageux.....mais, ça, c'est le prix pour le peuple Malaisien; pour le touriste, c'est plus cher! Nous avons cependant droit à une petite tolérance: cinquante litres par jour par bateau....Pas de taxi sur le parking de la marina.....nous commençons donc à cheminer à pieds vers la plus proche station service. Au bout d'environ un kilomètre, une dame arrête sa bagnole un peu devant nous et ouvre sa portière....pour nous inviter à prendre place, puis nous conduire à la station, et retour au Catafjord! comme ça, gratuitement, juste pour nous rendre service! j'hallucine. On s'échange les numéros de téléphone; elle va revenir en fin de semaine avec son mari pour qu'on leur fasse visiter le canote; ça démarre bien la Malaisie, non?

Jeudi 27; balade à Johor Bahru que nous atteignons en un quart d'heure par le bus. Tout est ici moderne et semblable à n'importe quelle ville du monde. Y compris l'imposant centre commercial "duty free". Nous y faisons l'affaire de l'année en achetant un petit cubi de vin, qui, une fois taxé par les douaniers qui veillent à la sortie, devient plus cher qu'au dehors.

Confortablement installés devant Sophie Marceau, comme au cinéma, nous sirotons patiemment notre tisane quand un vacarme inhabituel détourne notre attention anéantissant le puissant pouvoir hypnotique de la dame que je disais juste avant; nous mettons le zboub sur "pause" et sortons jeter un oeil: ouffff! ça décoiffe! c'est ça qu'on appelle ici un "sumatra"! en quelques secondes, le vent est monté à plus de cinquante noeuds; Cataford écrase ses parre-battages contre le catway qui se gondole dans tous les sens, assailli par un hargneux clapot. On se dit que la même chose, en mer, avec toute la toile dessus, ça peut faire très mal; mais, bon, là, on est au port, et Sophie Marceau ne va pas nous attendre toute la nuit.....alors retournons-z'y....n'empêche, un sumatra, ça plaisante pas; avec ça des éclairs comme au cinéma justement, et ensuite des trombes d'eau. Heureusement que ce n'est pas comme ça tout le temps. Bon, en attendant, j'ai récupéré quarante litres de flotte.