Mardi 27 novembre; les derniers maillons de la chaine d'ancre franchissent le davier dans leur gangue de boue sous le jet vigoureux de la pompe de lavage; il est 9h30. Désormais, miss Rocna ne devrait plus tarder à labourer du fond thaïlandais.....comme d'habitude, pas de vent, donc, route moteur: six noeuds, 1,75 euro de l'heure......en définitive, l'absence de vent nous fait réaliser de belles économies; car si nous utilisions les voiles, l'amortissement d'icelles et du matériel périphérique indispensable à leur manoeuvre coûteraient facilement quatre à cinq fois cette somme..... mais, bon !

15h; nous y voilà! Nous enfourchons le Newmatic afin de cingler au plus vite à la découverte de notre première île Thaï: "Koh Lipe". Sa baie principale, située dans le sud, face au hameau, nous a un peu rebuté à cause de l'intense agitation qui y règne (en plus, c'est profond et pas bien abrité du vent d'Est), aussi avons-nous poursuivi notre route pour venir mouiller dans le nord de cette même île, dans un endroit beaucoup plus calme, quoi qu'encore assez bruyant à cause de la proximité du groupe éléctrogène qui alimente toute la communauté....Un sentier sans attrait mène au coeur de la cité. Imaginez un genre de St Tropez/foire du trône, avec une petite touche de "les saintes" version Thaï.....je ne sais pas si je suis bien clair....disons que la partie émergée du glaçon est assez "bonnenfant-sympa-sans prétention", alors que l'autre serait plutôt "dépouillée-cradingue-limite miséreuse". En tous cas, la recette semble bien fonctionner, car un paquet de clampins bronzés côtoie ici une multitude de clampines (mais pas de cheval...) qui ne le sont pas moins. Par contre, question clarté de l'eau, snorkeling et toute cette sorte de choses: tableau d'honneur!

Sinon, on nous a rebattu les oreilles avec la soi-disant cherté de ce pays (par rapport à la Malaisie et surtout à l'Indonésie).....je ne suis pas bien de cet avis; lorsque je sors d'une gargotte à bouffe, repus, et que j'ai déboursé trois euros pour ça, je me garderais bien de laisser entendre que je trouve ça cher. On verra si ça se confirme....

Mercredi 28 Novembre; quelques travaux d'entretien ayant absorbé toute la matinée, c'est en début d'aprèm que nous repartons en visite de Koh Lipe. Cette fois, nous abordons le rivage à un endroit différent d'hier, ce qui nous fait emprunter d'autres chemins. C'est plus propre et plus cossu de ce coté-ci; il y a même quelques demeures bien luxueuses, blotties dans les hauteurs et ombragées par de hautes végétations. Après un crochet par l'épicerie pour regarnir un peu la cambuse, nous rapatrions le grappin en vue de le déposer, trois milles plus au nord, dans un endroit calme et sauvage avec du corail tout partout autour; comme ça, Malou peut snorkeler à son aise pendant que je rédige mon journal en asséchant une petite boite d'aluminium avec des bulles dedans....

L'embarcation populaire a pour nom "long tail". Longue barque effilée à la proue excessive, elle est souvent pourvue d'un abri central précaire, souvent en toile, et propulsée par un moteur thermique monté de cette manière originale que l'on retrouve dans maints endroits d'Asie: à l'arrière de l'embarcation, la machine est montée, au dessus du franc-bord, sur un fort chassis pivotant, se prolonge par une longue ligne d'arbre contenue dans un tube métallique qui porte les paliers, et se termine par une hélice bipale brute de fonderie; vers l'avant, un deuxième tube permet d'orienter le bazar qui agit ainsi comme une gouverne. L'ensemble est affublé d'un look un peu comique de méga-mixeur horizontal qui s'avère lorsque le gus sort son propulseur de l'eau (pas d'embrayage), mais s'estompe en navigation avec son joli panache d'écume jaillissant du sillage....Afin de ne pas perdre un yota de la précieuse puissance utilisée à faire mousser la mer, nos intrépides laboureurs de vagues se passent généralement de silencieux d'échappement, réalisant ainsi de substancielles économies: pas besoin d'avertisseur! on les entend de loin.

Jeudi 29 Novembre, 9h; ayant tout juste appareillé, nous trouvons les eaux du chenal inter-îles couvertes de jolis petits bouquets de fleurs, flottant chacun sur son îlot, et piqués, en leur centre, d'un fagot d'encens. Je me souviens qu'hier, lorsque nous déambulions dans les rues du bled, beaucoup de personnes étaient affairées à fabriquer ces délicates offrandes composées, pour leur base, d'une tranche de tronc de bananier, garni et rehaussé sur le pourtour par des morceaux de feuilles de bananier, ajustées et pliées afin de former une corolle remplie d'un parterre de fleurettes colorées. Ces embarcations, appellées "krathong", sont lancées sur les rivières au cours de la première lune du douzième mois afin de solliciter les faveurs de la divinité des rivières qui donne vie aux champs et aux forêts....hélas, à quelques centaines de mètres de là, ce sont encore des centaines de déchets en plastique qui ont été "offerts" à la nature; dérision........

Jour de chance avec le vent: une heure et quart de proplulsion vélique! pour arriver vers 16h30 dans l'Est des îles Koh rok nok; nous n'y serons pas seul! dix bateaux sont déjà installés là, certains sur corps-morts, d'autres avec leurs propres ancres. Nous nous amarrons à un corps-mort laissé vacant. Las, ce n'est pas le meilleur choix....En plein milieu de la nuit, le vent d'Est s'affermit et lève un lourd clapot qui nous oblige à prendre des dispositions pour éviter de bousiller notre corps-mort, lequel tient plus du porte-clé que du mouillage de cuirassé.....une petite heure de boulot au clair de lune, et le reste de la nuit à danser sur les vagues; voilà bien un mouillage merdique. Au matin, la plupart des autres canotes ont quitté les lieux.

Vendredi 30 Novembre; nous ne trainons pas non plus. La brise qui nous a pourri la nuit mollit graduellement, mais il y a peu de distance à parcourir, aussi nous parviendrons à Koh Lanta sans faire appel aux Yanmar; vingt milles parcourus à la voile, voilà longtemps que ce n'était pas arrivé.

Samedi 1er Décembre; le décor est en place; l'aventure "colle en tas" peut commencer. Pas question d'armer le Newmatic pour nous rendre à terre; trop pantouflard comme canote (et puis l'estran est ici très large; alors si c'est pour se trainer ses deux cents kilos sur le sable à basse mer, merci bien.....). Donc, mise à l'eau du kayak, puis embarquement du matériel de découverte, et, enfin, appareillage. Mais, d'abord, faisons un petit crochet vers ce beau cata à moteurs mouillé au fond de la baie et qui excite fort notre curiosité. La chance est avec nous; le propriétaire anglais qui est à bord, et sa compagne, nous invitent à visiter. Un canote superbe et réellement très intéressant (quoique vachement lourd), qui nous donne un aperçu de ce qui pourrait succéder à Catafjord....

Et maintenant, à nous la découverte du paradis de l'aventure tropicale; première mission: atterrir sans abimer le matériel ni l'équipage, une houle scélérate frangeant le littoral d'un trait d'écume blanche presque ininterrompu.....deuxième mission: trouver de la nourriture et un abri.....Nos petits coeur battent ( en même temps, s'ils ne le faisaient pas, on ne serait pas loin d'être morts.....) à l'approche du littoral; devons-nous accoster en face du "Southern resort", ou sera-ce plus safe devant l'échoppe du "Lanta paddle sport"? mais il est déjà trop tard pour réfléchir, car nous voilà tranquillement posés sur le sable, juste devant le "Slow-down bar"! et pas une goutte d'eau de mer sur les maillots de bain! première mission accomplie; et avec quel brio! sitôt remonté le kayak, pour le mettre hors d'atteinte des flots qui auraient pu être en furie, mais là, non, nous nous mettons en quête d'une issue victorieuse au deuxième défi. Là encore, les divinités des aventuriers sont de notre coté; figurez-vous que le sus-nommé "slow-down" affiche une carte tout ce qu'il y a de plus raisonnable et attrayante, cependant que son bar exhibe fièrement une pompe à bière de la marque locale "Chang", laquelle en vaut bien d'autres. Et, c'est ainsi que nous nous acquittons pour la deuxième fois de la journée d'une des missions les plus indispensables à la survie en milieu hostile, se nourrir, le tout pour dix euros; ça reste à notre portée. S'ensuit l'incontournable promenade sentimentale et digestive le long de l'unique rue, principale donc...., agrémentée de quelques emplettes, en particulier dans cette invraisemblable quincaillerie sans éclairage, au sol de terre battue. Nous décidons de faire une pause dans l'aventure Kohlentasque en revenant passer la nuit à bord de Catafjord....surtout que l'heure de l'apéro approche....

Dimanche 2 Décembre; la vilaine houle arrivée nuitamment ne se dégonfle pas au soleil, et continue de nous perturber l'équilibre toute la matinée, tant et si bien que nous appareillons en début d'aprèm pour Koh phi phi (prononcer ko-pi-pi). Après trois heures de navigation mécanique (pas de vent), nous parvenons à cette île réputée pour sa beauté, ses plages, ses sites de plongée, et son dynamisme, hélas bruyant et trépidant. De fait, bien que mouillés au pied d'un décor enchanteur, le ballet incessant des long-tails et autres speed-boats chargés de blanc-becs en petites tenues nous brouille l'écoute du silence, tout en nous agitant les eaux: c'est la transhumance du sunset. Les hordes de touristes ayant passés leur journée sur les nombreux sites de plongée avoisinnants rejoignent à toute allure et à grand fracas leur bercail, afin de communier sans tarder au prochain karaoké post-apéritif qui les attend de pied de micro ferme.

Lundi 3 Décembre; le soleil porte son regard de lumière sur les falaises karstiques qui constituent le fond du décor de cette grouillante baie de Tonsaï où nous venons de passer la nuit et que nous n'avions vu qu'ombragé hier soir en arrivant; c'est imposant, c'est fascinant, c'est beau....Mais il nous faut à présent rejoindre la terre ferme pour découvrir le reste. Avec le kayak, c'est l'affaire de quelques minutes. Ici, c'est le BHV du tourisme; des prestataires par centaines et des chalands par milliers; heureusement, bien des clientes sont court vétues, ce qui égaye un peu le tableau; mais alors, que de monde! que de monde! les principales activités proposées tournent autour de la plongée, mais on trouve aussi des pourvoyeurs d'escalades le long des paroies calcaires; et, bien sûr, les glandos inconditionnels peuvent griller au soleil à longueur de journée, soit directement sur le sable, soit sur un des innombrables transat alignés comme des menhir à Carnac ( attention au lapsus: "Carnac" n'est pas un mec bronzé et crépu qui pilote des éléphants en Calédoinie.....)

Las de toute cette agitation, nous décidons d'émmigrer vers une autre baie, plus au nord, dite "Loh Dalam" et qui devraitt être plus tranquille. Sur le chemin, le paysage est grandiose; ces falaises sont d'une saisissante beauté. Tellement belles qu'on dirait le tableau d'un grand peintre qui aurait commencé son tableau par le haut; aussi, le vert, les arbres, la végétation, tout ça est impeccablement représenté....puis vers la fin, peut-être était-il un peu pété ou quoi, on sait pas, au moment de peindre les falaises proprement dites, il se serait un peu gauffré dans ses mélanges, ce qui fait que ça a tout dégouliné, et, justement, c'est ça qui est le plus beau.....mais je n'insiste pas, pour mieux piger, voir les photos de Malou.

Mardi 4 Décembre; décidemment, nous sommes indécrottables! on nous avait prévenu pourtant.....bien sûr, le mouillage est magnifique dans cette baie "Loh Dalam"; bien sûr c'est bien plus calme dans la journée; mais il y a un détail qui rabote le plaisir: une saloperie de boite de nuit infernale lâche des quantités de décibels pestilentiels jusqu'à quatre heures du matin! que de la musique de demeurés en plus! boum, boum, bouboum etc.....alors, forcémment, pour dormir, c'est pas terrible.... Bref, le déménagement est programmé pour tantôt. A la grâce de Bouddha.....

proverbe Thaï que l'on apprend aux enfants à l'école:

"après Ko pi pi et colle en tas, n'oubliez pas de vous laver"