Lundi 25 Mars; "Sea Lance", le voilier français de Didier et Chantal franchit, au petit matin, la passe d'entrée de notre minuscule hâvre de Gan; ils arrivent des Andamans où ils naviguaient de conserve avec "tue-mouche" (Too much....), le supermarmou de Maria et Jean.

Jean, c'est le grand gourou-fondateur de la confrérie des "frères de l'entrecôte".....regroupant, dit-il, des qui naviguent entre les côtes....., alors que d'autres cabotent.......Didier ne tarde pas à venir s'acquitter de la mission que Jean lui a confiée: nous introniser membres de cette honorable compagnie.....La cérémonie est des plus brèves, car nous appareillons bientôt pour les Iles Chagos. Nous nous y retrouverons dans quelques jours, probablement. Le temps est instable, avec des grains; mais nous sommes chanceux, et la traversée démarre dans une grande sérénité, avec quelques heures de beau temps et la mer magnifique.

Mercredi 27 Mars; notre deuxième nuit en mer a été bien merdique. Ciel chargé, peu de vent, et qui change tout le temps; pas moyen d'être peinard! vivement la navigation au moteur.....Puis, la récompense se pointe à l'horizon sous la forme d'une frange de cocotiers portés par les Iles de l'atoll Peros Banhos. La passe nord nous a réservé un comité d'accueil original: une colonie de fou de Bassan, qui virevoltent gracieusement autour de nos mâts, lorgnant avec gourmandise sur les leurres de nos lignes de pêche.

L'archipel des Chagos, une cinquantaine d'îles, est administré par la marine britannique depuis 1965. Coïncidence: c'est à peu près l'époque où les intrépides militaires anglais installés à Gan ont été invités par les musulmans des Maldives à aller faire du camping ailleurs.....du coup, les autorités Mauriciennes, histoire sans doute de se faire un peu d'argent de poche, ont commencé à louer leur Chagos aux Anglais.....qui les ont eux-mêmes sous-loués aux américains à dessein d'y installer une base militaire Kolossale; mais, à la condition que l'endroit soit purgé de toute vie humaine non-américaine. Et donc, actuellement, plus personne ne vit dans les Iles de l'archipel, à l'exception des militaires américains qui se cantonnent à Diego Garcia; interdiction absolue de s'approcher à moins de trois milles. Seuls quelques voiliers de passage sont encore autorisés à faire escale à Peros Banhos ou à Salomon, dans des zones bien limitées, pour une durée maximum de 28 jours, et après avoir satisfait à une belle brochette de conditions.....dont le paiement d'une taxe de plusieurs centaines de livres anglaises. Quand aux Chagossiens de souche, sournoisement éloignés de leur pays natal, ils croupissent dans le ghetto "doré" qui leur a été attribué à Maurice, à l'abri du besoin, mais sans espoir et sans avenir.....

Jeudi 28; nous sommes mouillés sous le vent de l'île "Diamant"; la basse mer y découvre une "bande piétonnière" de sable blanc, que nous abordons en kayak; nous sommes seuls, et c'est magique.....ambiance Robinson de luxe......un petit triangle noir découpe l'onde lisse à l'intérieur du reef, dans trente centimètres d'eau: un requin pointe noire.....ils sont très nombreux dans les parages.

La faune est exhubérante: plein de piafs et de poissons et de crustacés....Malou photographie à tout va.

A l'extrémité de l'île, une importante communauté de fou-de-Bassan a établi son camp de base; c'est un régal d'observer les jeunes dans leurs nids; on dirait des pompons de "pom-pom girls", avec un bec et des yeux ( les pompons,....., pas les girls, of course...). Le bleu de leur bec est si tendre qu'on dirait une couleur pour chambre d'enfant. "C'est quoi comme sorte de fous les becs bleus?"; "j'en sais rien, mais je ne crois pas que ce soit des fous normaux.....". Pépette se marre; c'est la notion de "fou normal" qui lui plait.....

Les quelques déchets plastiques qui polluent cette belle plage m'inspirent une mission humanoécolodivertissante; parmi les merdasses que l'on rencontre fréquemment, y compris dans les lieux les plus isolés, il en est certaines qui pourraient bien rendre encore service aux quelques bien démunis qu'on ne trouve plus guère que dans 80% de l'humanité, pas plus.....ces le cas de ces flotteurs en plastique, pour la majorité, fabriqués en Chine, et qui servent à relier à la surface de la mer toutes sortes d'engins de pêche dont sont friands les besogneux, avides du fretin nécessaire à nourrir les hordes de mioches qu'ils ont eu l'imprudence de commettre, alors même que le coïtus interruptus est à la portée de n'importe quel étalon, aussi miséreux soit-il, faut juste s'entrainer un peu.......mais où m'égare-je encore????

Bref, j'ai décidé de collecter les flotteurs en bon état pour les donner à des péchous pauvres qui font ça avec des bidons en plastique, lesquels finissent toujours par couler, et les mecs perdent leur bazar.....ça prend un peu de place, mais, bon, le canote est grand, et ça ne pèse pas lourd. J'appellerais bien ça "la pêche aux boules".......imagé, non ?

18h: j'ai fait un thé pour Malou; le sachet est mal foutu et laisse échapper des pilpouss......ça lui déplait. A cette heure-ci, ça sera un passe-thé pour elle et un pastis pour moi.

Nous sommes peinardos à mirir un petit film quand survient un vilain moment pour nous. Une saloperie de perturbation, sorte de gros grain qui durera deux heures nous envoie un vigoureux vent de sud qui lève sans tarder un méchant clapot; même que ça devient vite des vrais vagues, poussant Catafjord à quelques dizaines de mètres seulement du reef. La nuit est noire, l'anémo est rivé à trente noeuds, et la franche d'écume blanche semble prête à nous déchirer à la moindre défaillance.......brrrrrr. Heureusement, Saint Christophe veille toujours et la Rocna est géniale comme ancre; mais ça fait pas rigoler sur le moment. Aussi, à partir de dorénavant, c'est surveillance attentive de la météo chaque matin, et déménagement vers l'endroit le plus approprié.

Samedi:

Ainsi, c'est lors d'un déménagement vers l"'île du coin" que notre ligne de pêche consent enfin à convier un invité: un jeune requin d'un peu plus d'un mètre, au large sourire acéré, svelte et vigoureux.....qui habite en ce moment même dans le frigo. Malou l'a débuté au court-bouillon, accompagné par cette mayonnaise que les américains lui jalousent: un festin!!! Il en reste encore pour sept ou huit repas.....Par contre, j'ai préféré relâcher celui que nous avons capturé ce matin, en sectionnant mon hameçon à la cisaille; le gamin s'est éloigné sans demander son reste avec une grâce ondulante genre "même pas mal".

Les prévisions météo sont moches. Une dépression se creuse dans le sud, apportant vent fort et ciel chargé. Cette fois, nous sommes bien positionnés; ça devrait bien se passer....

Lundi de Pâques; aucune différence notoire par rapport à un lundi qui serait pas "de Pâques", ni même par rapport à un autre jour d'ailleurs. Nous avons adopté le kayak comme mode de transport principal, car c'est bien commode pour franchir les reefs et faire un peu de pêche aux boules.......j'ai la chance de récolter aussi deux merveilles de technologie, rejetées là par la mer: des balises éléctroniques munies de GPS utilisées pour la pêche. Je suis certain qu'elles fonctionnent, provisoirement empéchées d'émettre par l'épuisement du parc de piles alcalines qu'elles recèlent.

Malou en profite pour faire sa moisson d'images.

Dans cet univers sauvage, la vie s'écoule au naturel; chaque instant est pleinement occupé à toutes ces petites choses que l'on néglige dans la trépidante agitation d'une vie moderne. Ici, les détails sont l'essentiel.

Nous ne sommes pas totalement isolés, grâce à notre radiotéléphone satellite, qui permet d'envoyer et recevoir quelques mails; nous l'avons peu diffusé, car le débit est faible et le coût des minutes de connexion élevé.

Mercredi 3 Avril; ambiance un peu étrange. Le centre dépressionnaire qui s'est établi dans le sud des Chagos est en train de se muer en tempête tropicale, et va probablement évoluer jusqu'au statut envié de cyclone......plafond bas, gris, beaucoup de pluie, du vent (mais pas en tempête, ici), nous sommes cantonnés à l'intérieur. Un gros bateau rouge, le "Pacific marlin", arrive et nous tient compagnie 24 heures: ce sont les autorités britanniques. Ils viennent nous rendre visite à bord d'un gros semi-rigide et contrôlent notre autorisation de séjour. Ils sont sympas; on leur offre un petit expresso.

Jeudi 4; enfin le temps s'améliore et nous pouvons reprendre les excursions. Le requin de la semaine dernière a presque entièrement déserté le freezer; il nous faut de nouveau pêcher. C'est le newmatic qui traine les lignes cette fois; la ressource est si abondante dans les parages que ça mord en quelques minutes seulement......hélas trop gros, et notre bas de ligne est emporté instantanément. Qu'à celà ne tienne, nous retournons à bord pour gréer plus fort: un très beau leurre avec un hameçon de dix centimètres que mon pote Quiquin m'avait offert à Huahine quand j'ai réparé son canote en alu. En moins d'une minute, un barracuda de dix repas grimpe à bord; et voyez l'admirable coordination: je m'occupe d'ôter les glaçons du frigo pour lui faire de la place et c'est pile poil l'heure de l'apéro......c'est pas bien calculé tout ça?

Samedi 6; la dépression s'éloigne en devenant le cyclone Imelda, mais ses effets restent limités ici, et nous pouvons envisager un petit voyage vers Salomon, l'autre atoll autorisé, où "Sea lance" doit nous attendre. Petite plongée avant de quittre les lieux tout de même, mais avec tous ces requins, je ne suis pas très motivé pour chasser, surtout que la pêche donne bien.....pourtant, un beau mérou moucheté se pavanne devant la caméra de Malou; et moi, je n'en ai pas attrapé des tas, de mérous, alors que c'est plutôt bon.....je me décide à plonger,..... pour lui loger ma flèche bien au milieu du crâne, et, bingo, la bestiole ne frétille pas plus qu'une motte de beurre au soleil, et ne verse pas une goutte de sang, ce qui me permet de la ramener à bord sans attirer les requins.

C'est décidé, demain nous partons pour Salomon.

Mardi 9 Avril; première vraie belle journée à Boddam où nous sommes depuis deux jours. Imelda nous a envoyé pluie et vent, retardant notre découverte des charmes de cette île. Le fond est tapissé de corail et rares sont les endroits où poser une ancre. Par contre, les voyageurs passés ici avant nous, les années précédentes, ont ceinturés quelques belles patates de corail avec des chaines, créant de solides "moorings". Didier nous a aidé à en attraper un hier matin, et nous sommes parés pour un séjour cinq étoiles maintenant....

Programme du jour: réparation d'un coulisseau de grand'voile, sieste, massage de Malou....., découverte de Boddam et apéro à bord de "Sea lance" avec dégustation de mérou frais; je vais apporter une bassine de punch planteur.....c'est un petit produit qui plait toujours ça.

Autrefois, Boddam abritait toute une communauté, vivant dans un fort joli village, principalement de l'exploitation du coprah. Il en reste encore de nombreux vestiges, qui sont mangés années après années par la végétation. Des plaisanciers de passage ont érigé sur ces ruines de rudimentaires installations hors la loi (le réglement anglais l'interdit formellement....), afin de faciliter les soirées barbeuc, lesquelles réjouissent aussi des escadrilles de moustiques. Les crabes de cocotier prolifèrent à leur aise et atteignent des proportions respectables ici; hélas, il est interdit de les prendre comme animal de compagnie et de les loger dans une bassine d'eau avec le feu dessous, ce qui est bien dommage car il se dit que c'est drôlement bon.....on peut pas savoir vraiment puisque c'est interdit, mais disons que ça semble superbon......mais, bon, on peut pas savoir......

Depuis que s'est installé le beau temps, la vie s'écoule comme en rêve; un tout petit peu de travaux d'entretien, pas mal de plongée, quelques excursions en kayak pour visiter d'autres motus, un peu de pêche à la traine en newmatic.....plus une pincée de dépannage chez les potes qui pataugent dans leurs soucis éléctriques ou informatiques; et, travailler un peu l'accordéon aussi.

De retour d'une partie de pêche hors lagon, il faut bien nettoyer les dix kilos de poissons capturés, ce que Malou entreprend de faire à l'arrière, comme d'hab. L'opération attire rapidement une douzaine de requins, et.......trois ou quatre "red snappers", de belle taille ma foi.....qui disputent les abats aux squales, un peu moins vifs qu'eux. Malgré la bonne pêche du jour, me vient l'idée d'en capturer un sans me mouiller......bien tapi dans la jupe, mon arbalète à la main, la digue, la digue.....un gourmand se pointe; je lui décoche immédiatement ma flèche qui le transperce de part en part! yesssss! .....un instant, le goût suave de la victoire me monte aux lèvres.....alors que l'instant suivant m'apporte en pleine tronche et à grand fracas, la claque retentissante du gosse qu'a énérvé manman: la bestiole, courroucée de se retrouver décorée de cette encombrante pince à cravate, vient de filer à toute force vers le fond, me déséquilibrant au point de me faire lâcher le fusil!!! et je reste là comme un crétin, sans poisson, sans flèche, sans fusil.....juste l'air d'un gros naze.....

Dimanche matin,

Malou est motivée pour retrouver le fusil......et la flêche. Et de fait, après avoir scruté le fond durant quelques minutes, elle finit par repérer les deux. Impossible de me soustraire à ma partie de la mission: descendre à huit mètres chercher ces deux bazars....je n'ai pas du tout l'habitude de descendre en dessous de cinq mètres, et c'est au prix d'un effort considérable que je parviens, la tête dans un étau, à m'emparer de mon matériel.....pas de nouvelle du poisson par contre.....ça s'interesse à rien ces bestioles.

Séquence "retrouvailles"; un fier cata nommé "Rackam" approche prudemment, et vient s'amarrer au mooring/patate le plus proche de nous. Les marins qui l'équipent sont des copains, rencontrés à St Nazaire en 1975, quand nous construisions "Ti Moun". Nous nous sommes perdus de vue depuis une vingtaine d'années je dirais.....Hervé et Bertrand sont totalement abasourdis de nous revoir ici, mouillés devant une île déserte, au milieu de l'océan Indien, où passent seulement une quinzaine de bateaux par an......tout-à-fait improbable. Bon, ben ça nous fait l'occasion de partager l'apéro....

Et Lundi, c'est au tour de nos "pirates" de pointer leurs étraves pour de nouveaux délicieux moments de convivialité.

Déjà les préparatifs du départ prochain occupent nos esprits: une intéressante fenêtre météo s'ouvre devant nous avec l'essoufflement et l'éloignement d'Imelda, et je suis bien tenté de nous y engouffrer.

Mercredi 17 Avril; nous avons quitté notre "patate" hier après-midi, pour venir passer notre dernière nuit de Chagos au mouillage, juste en face de la passe. Ainsi, nous pouvons appareiller de bonne heure, sans attendre que le soleil soit haut.

Le temps est magnifique, le vent faible, un moteur ronronne gentiment dans sa boite; c'est reparti.......

Dimanche 21 Avril, quatrième jour en mer; cette fin de journée est superbe. Le ciel, d'un bleu un peu délavé, est moucheté de petits cumulus épars qui semblent se multiplier vers l'horizon; question de perspective. Catafjord file neuf noeuds, ses étraves eparpillant au ciel des panaches d'écume d'argent; mer agitée......Belle navigation; pas très confortable, forcémment.....Rodrigues est à moins de trois cent milles, et le vent devrait nous accompagner jusqu'au bout.

Après un début de traversée tranquilou, au moteur dans des brises légères, les choses sérieuses n'ont pas tardé à rappliquer: le vent s'est renforcé, est venu dans le pif, avec des grains déversant des déluges d'eau et des bourrasques, pour finir pas s'établir à 20/25 noeuds à 70% de notre route. La mer est devenue forte, et quelques vagues bien abruptes sont venues déferler en torrents sur nous superstructures, cependant que le mec qui martèle le dessous de nacelle avec son marteau-pilon depuis trois jours n'a pas molli une seule seconde.....quelle santé! Mais, ce soir, ne boudons pas notre plaisir: le vent a adonné et un peu diminué, le ciel est dégagé, le soleil se couche en carte postale, et la lune est déjà là pour nous accompagner......cool; la nuit se présente bien.

Mardi 3h du mat; Catafjord a bien taillé sa route, et nous voici devant la passe d'entrée de la baie Mathurin, après une traversée mouvementée et humide, mais plutôt rapide, de cinq jours et vingt heures. Dernière facétie des éléments, un grain survient au moment précis où j'amène le canote sur l'alignement d'atterissage......pas envie de faire le malin; demi-tour vers le large, et on recommence. C'est vers les quatre heures que l'ancre descend s'enfouir dans le sable de Mathurin. Repos!

Après quelques heures de sommeil, il est temps de remonter l'ancre pour entamer l'ultime opération: embouquer l'étroit chenal qui mène au quai de commerce; hélas, c'est le moment que choisit le guindeau pour faire son intéressant: son interrupteur de commande a pris l'eau pendant la traversée et refuse tout service......démontage, réparation provisoire au rythme du solide clapot qui agite la baie......, et, c'est reparti....

10h: à quai, arrive enfin la récompense de tous nos efforts; les différentes autorités défilent à bord, chacune à son tour, servies par des gens aimables et courtois. L'officier d'immigration est un amateur de musique; il nous invite à la prochaine répétition d'un groupe local; et je dois apporter mon diato.....

Les nombreux bobos subis durant la traversée ont tôt fait de générer une liste de "travaux à faire tout de suite", si copieuse qu'il faut une page neuve pour l'établir.....notre séjour débute donc par plein de boulot et pas beaucoup de tourisme. Pas grave; nos amis Michèle et Patrick seront là dans deux semaines, et nous aurons alors tout loisir de dézambuller dans cet endroit délicieux.