Comme par enchantement, à peine tournée la page "laborieuse" du séjour, la magie du voyage opère de nouveau et c'est la rencontre, prévisible, de Monsieur Ben Gontran. Un personnage agé, mais à l'esprit toujours vif, qui a été un artisan majeur du développement musical et culturel de Rodrigues; c'est l'officier d'immigration, devenu notre ami par l'intermédiaire du groupe folklorique, qui nous amène dans sa magnifique maison de style colonial, encore plus ancienne que lui (120 ans la baraque!). A cause de sévères problèmes osseux, Ben n'a plus aucune mobilité; cependant, il a encore des montagnes de souvenirs et c'est un conteur intarissable. Quel plaisir de l'écouter narrer ses anecdotes savoureuses avec son charmant accent créole. Il demande à voir et entendre mon accordéon. Nous rencontrons aussi son frère Tino; encore un fameux accordéoniste. Ben ne peut plus jouer car ses doigts l'on trahit, mais il me prête gentiment son bel accordéon, un instrument de fabrication allemande pourvu d'un très joli son. J'en suis ému.

Michèle et Patrick arrivent demain; le voyage se poursuit.....

Dimanche au petit déj;

" y a un sportiak au plafond de ma cabine" annonce Patrick, un oeil quasiment ouvert, l'autre encore collé....."je ne crois pas" dis-je, "mais on va aller voir ça"; et il me désigne d'un air malicieux la poutre de liaison principale, celle qui supporte le grand mât.....quel observateur ce Patrick; il n'a pas fini de m'étonner.....Il n'empêche, leur séjour à bord sera l'occasion de belles vacances pour nous aussi. Nous avons loué un pick-up Toyota; Guy Lux, ou un truc du genre.....la guimbarde affiche un kilomètrage gériatrique; et......conduite à droite! Donc petite période d'adaptation à prévoir avant de pouvoir rouler normalement, soit à 50 km/h maximum. C'est curieux, ici, la langue officielle est l'anglais, et les autos roulent à gauche, mais les gens parlent français (mais plutôt créole), et n'aiment pas beaucoup les angliches.....Bon, le premier jour de vacances, il nous faut environ deux heures et demi pour parcourir les quinzes kilomètres qui nous séparent de la réserve Leguat où deux mille tortues terrestres glandouillent à longueur de journée. On n'imagine pas comme c'est câlin ces petites bêtes-là; et coquettes avec ça, qui s'ingénient à maintenir un épais mystère autour de leur âge.....ainsi telle femelle, profondément ridée ( B.B. fait nourisson à coté, c'est vous dire....) affiche un petit 95 ans, ce qui en fait une gamine en regard de ses 250 ans d'espérance de vie (alors que BB, c'est moins...). La visite de la réserve de tortues ( on n'y pense pas toujours, mais c'est assez rusé de se constituer une réserve de tortues), est couplée à la découverte commentée d'un caverne pleine d'interêt et agréablement aménagée; les explications de notre guide à l'humour préhistorique nous ravissent et nous procurent un bien-être bonne d'enfant.

Patrick et Michelle sont émerveillés par la beauté de l'île et de son lagon. Il est vrai que, sillonnant le territoire en tous sens à bord du pik-up rouge, nous avons maintes fois le souffle coupé, non pas à cause de l'altitude (même pas 400m), mais par la majesté du spectacle qui nous saisit au détour d'un virage sur huit ( j'ai compté): derrière une colline verdoyante comme savent si bien verdoyer les collines de Rodrigues, le lagon turquoises avec tâches de sable doré sur fond de ciel bleu, ça fait toujours son petit effet (principalement au sortir d'un hiver vendéen...., si vous voyez ce que je veux dire......).

"J'aperçois des ruches là-bas, dans le champ............ah, non, c'est des vaches"; il était temps qu'y prenne un peu de vacances mon copain....bon, je sens que ça va pas être triste; l'ambiance est à la poilade.

Lundi, randonnée côtière; nous cahotons en pick-up rouge jusqu'au petit bourg de St Nicolas, point de départ de notre virée pedestre. Un type propre sur lui nous dépasse en faisant de grands signes pour qu'on stoppe.....puis le voilà qui entreprend de bricoler le haillon arrière de notre fantastique véhicule, en nous signalant que celui-ci fait un bruit "anormal" comme il dit; devant nos yeux hagards, le bipède ramasse sur la route un bout de caoutchouc merdique genre morceau de pneu déchiqueté et le coince habilement dans la charnière du haillon, avant de le vérouiller.....puis de se présenter: "bonjour, je suis Marcel Duchmol, propriétaire de la bagnole rouge"; tout s'explique. C'est le patron de la boutique de loc, mais nous, on l'a jamais vu; on ne connais que la mignonne qui, derrière le bureau, affiche un sourire enchanteur et un décolleté qui ne l'est pas moins.

Déjeuner cuisine locale, au bord de la route, dans un boui-boui bien typique en tôle et bambou juste comme on aime, avant d'attaquer l'épreuve de marche. Le chemin côtier, en partie ombragé, mène à des anses magnifiques aux noms évocateurs....."trou d'argent" que je surnomme immédiatement "anse sécu", "anse bouteille", que je ne surnomme pas car l'après-midi s'avance, et avec elle, l'heure de l'apéro.....que l'on risque d'aborder avec un peu de retard; moi, ça ne me gène pas, mais c'est pour les autres.....Promenade tonifiante (d'oiseau de mer.....); l'air est chargé d'embruns et d'iode, et je médite à ce bon vieux dicton que je viens juste de pondre: "il est préférable d'avoir l'air iodé que l'air idiot.....encore qu'il ne soit pas exclu d'avoir les deux".

Mardi; expédition "Iles aux cocos"; nos voisins de bateau, un couple de canadiens flanqué de deux rejetons, se sont joints à notre petit groupe. Un quart d'heure de Toy rouge et nous voici tous embarqués à bord de la pirogue de Joë Cool, direction le paradis des oiseaux; se faire appeller "coule" quand on trimballe des passagers en canote, faut être taquin un peu, je trouve. Joë mène l'esquif habilement, slalomant entre le patates de corail avec pas plus de quelques centimètres de flotte sous la quille. Pas de cocotier sur l'Ile aux cocos. En revanche, les piafs pullulent et sont ici chez eux. Ce sont leurs oeufs, en grand nombre dans les arbres et même au sol qui ont donné son nom à cette langue de sable arborée, aujourd'hui classée "réserve naturelle".

Le repas, pris en commun à l'ombre d'un arbre majestueux jouxtant la plage, apporte à nos invités le petit supplément de décontraction qui ne fait jamais de mal......nos canadiens partagent la grande table avec nous. L'ainé des gamins entreprend de nous divertir en racontant des histoires supposément drôles, avant de réclamer un échantillon des miennes en retour......hors, il se trouve que mon répertoire n'est pas directement issu des mêmes sources que le sien......tant s'en faut. Et donc, forcémment, le dérapage est frôlé maintes fois, sous l'oeil réprobateur des parents. Portant, ça aurait pû être pire: ils ont échappé au lion et au petit singe niqueur....

Les jours défilent, apportant chacun son lot de rencontres sympas et de promenades agréables; parfois sans grande originalité, juste du bien-être, parfois plus "instructive", comme la visite du jardin botanique (le lion....), mais toujours dans la bonne humeur, car nos invités sont de fort agréable compagnie.

Les conditions météo ne nous permettent pas de convoyer Catafjord jusqu'à port Sud-Est et c'est bien dommage; aussi, les seules navigations que nous pourrons offrir à nos amis se limitent à une balade en Newmatic dans le lagon et un virée hors du port de commerce pour laisser place au cargo. Ce qui fait que nous ignorons toujours si Michelle a réellement le pied marin d'eau douce ou pas; c'est au pied du mur qu'on voit ......qu'on peut pas aller plus loin.

Lundi 20; ambiance italo-rodriguaise pour cette soirée apéro; c'est l'anniversaire de Raphaëlla; elle a bouclé sa table d'hôte, "Mamie chérie", pour l'occasion, et arrive en scooter avec Roland, son compagnon. Bruneto et sa famille ne tardent pas à suivre et l'atmosphère s'anime bientôt. Raphaëlla s'envole dans des tirades agrémentées d'une gestuelle bien ritale, nous racontant ses débuts parfois râpeux avec l'apprentissage de notre langue; en particulier, le jour où, Roland, travaillant à faire une clotûre en bambou, lui demande si elle a un sabre (une machette), et qu'elle lui répond passablement énérvée:" tou mé démand si yé dou sab? ma sé incroybl! tou n'a pa vou qué y'en a sec ton' dan' la cour?" . Dommage qu'on ne les ai pas rencontré plus tôt; Roland nous aurait amené à la pêche avec sa pirogue à voile. Elles sont superbes les pirogues de Rodrigues; pointues des deux bouts, avec une quille non lestée à faible titant d'eau sur toute leur longueur, et une voile latine; élégantes et efficaces, elles savent très bien remonter au vent au dessus des platiers.

Mardi 21; mélancolie de fin de vacance en préparant les valises. Michou et Tricar...s'envolent ce soir, retrouver leurs trépidantes vies maulevrettes (mais est-ce bien comme ça qu'on appelle les habitants de Maulévrier?....j'en suis pas sûr), cependant que Miloude et moi, préparons l'appareillage pour demain matin, direction Momo, 330 milles dans l'ouest; vent arrière; brassons bien partout carré.

Un dernier restau cuisine locale, une dernière rando pick-up rouge, menant à un ultime endroit très particulier: un genre de terminal sablier du tiers-monde, où quelques besogneux trimballent, dans des épaves de chaland en polyester, le sable/coqilles brisées/corail mort qu'ils extirpent du fond pelle à pelle, à deux pas de l'aéroport.....Rodrigues, paradis du touriste, recèle, je crois bien, quelques mal-nantis de peu enviables conditions.

21h; nos invités sont dans leur avion, la sono du carré diffuse "HLM", de Renaud, c'est marée haute, l'alizé plein Est pousse sa houle par dessus le reef, secouant Catafjord comme pour lui dire: "remue toi pépère; demain on danse ensemble.....".

Mercredi 22, 10h ; la page Rodrigues est tournée; les amarres sont larguées. L'alizé est au rendez-vous, avec sa vingtaine de noeuds de vent portant. Rodrigues nous laisse de bien jolis souvenirs. Par bonheur, nous emportons avec nous le livre dédicacé de Ben Gontran que nos amis nous ont offert pour raviver à loisirs le souvenir des bons moments passés sur ce merveilleux caillou.