Mardi 8 Octobre; Nosy bé, haut-lieu notoire de prostitution infantile......Tout porte à penser que les récents soulèvements populaires aient été motivés par cette triste référence; il semble bien que les "victimes" de la colère sauvage de quelques-uns soient des trafiquants de "chair fraiche" parfaitement connus et identifiés, ayant quasimment pignon sur rue et qui retiraient, de leurs sordides activités, de substantiels bénéfices, à leur usage exclusif. La corruption étant ici une institution, point n'est besoin d'être fin stratège pour savoir graisser à droite et à gauche les pattes qui devraient normalement se dresser contre ces pratiques dégueulasses. Puisse la nouvelle recette de barbeuc,"le vaza flambé au caoutchouc", participer à protéger un peu les enfants Malgaches......je sais, la méthode est barbare, mais l'est-elle plus que ce qu'elle cherche à réprimer?

Le chemin de terre qui mène du yacht-club de la baie du cratère à la petite ville de Dar El Salam mérite amplement qu'on le parcoure à pieds. On y vit une immersion intime dans le quotidien de ses habitants, propre à appréhender un peu mieux ce que peuvent être leurs vies, et on y croise des charrettes rudimentaires, en bois sur un chassis métallique, équipées de roues de Renault 4L, et tractées par un zébu à l'accélérateur fort original; le pilote de l'engin, dès lors qu'il commence à ressentir un peu d'agacement à se faire doubler par des piétons du troisième âge, attrape à pleine main la queue du quadrupède, et s'en sert pour lui titiller nerveusement le trou de balle d'un mouvement qui signifie clairement: "tu vas te bouger l'oignon sinon t'auras pas à bouffer".....et bizarrement, ça marche! sauf qu'il faut recommencer souvent.....En même temps, si on veut essayer de comprendre le principe en se mettant, virtuellement, bien sûr, à la place du ruminant, trouver une motivation pour accélérer le pas, lorsque l'on trime sous le soleil, une ficelle dans le nez en guise de piercing, un joug qui vous laboure le cou, et un guignol derrière, qui vous irrite les sphincters à longueur de journée en prenant votre appendice caudal pour un câble d'accélérateur.....c'est pas gagné. Peut-être que le zébu, dans une vie antérieure, il était nazi, et qu'il aurait été réincarné en zébu pour éxpier un peu.........mais je me demande si je ne suis pas encore un peu en train de sortir du sujet.....(comme disait le jeune marié)....

Le début de la rue est occupé par des commerces de matériaux de construction d'habitations. Mais ici, rien à voir avec un Pinault ou un Leroy Merlin. Quatre poteaux et un toit de tôle ondulée abritent sommairement une pile de branches de palmiers, séchées, ligaturées et empilées, qui sont le matériau de couverture de base, ainsi que des éléments de "murs" et "cloisons" composés de branches d'arbre du voyageur assemblées entre elles par des tiges de bois éffilées qui les traversent de part en part. Un espace est réservé aux bambous, et un autre aux planches de bois, débitées à la tronçonneuse à chaine. Un peu plus loin, quelques bacs grossièrement bétonnés contiennent du sable, lequel peut être déversé en contrebas à travers des orifices obturés par des portes en bois; derrière, nous sommes dans une fabrique de parpaings. Des dizaines de moules en ferraille sont alignés au sol et remplis un à un, manuellement. On peut se procurer, dans cette zone, tous les ingrédients nécessaires à la fabrication d'une case traditionnelle. La seule différence par rapport à ce que Paul nous a montré la semaine dernière, c'est qu'ici, nous sommes en ville. Aussi, il semble difficile d'aller chercher son bois et ses palmes dans la forêt, et donc, il faut acheter. La rue est une succession d'échoppes hétéroclites, parfois de deux ou trois mètres-carrés seulement, où on trouve presque tout. La population est dense; les gens sont parfois réservés, mais aussi, souvent, prompts à converser ou à sourire en réponse à un simple salut. Pourtant, on sent aussi quelques attitudes hostiles.

Nombre de femmes sont très belles ici; dont certaines font, à l'évidence, commerce de leurs appâts, ce qui conduit à croiser dans la rue, à trente secondes d'intervalle, Cosette, avec son seau de linge sur la tête et un morveu en bandoulière, et Naomi Campbell, perchée sur des talons aiguilles d'échassière (même aujourd'hui....), tortillant des rondeurs pour énerver le passant.

Toute cette société semble très organisée, et je ressens confusément la difficulté qu'il y a à apporter notre grain de sel européen, sans rien faire d'autre que perturber un équilibre subtil et fragile.

Jeudi 10 Octobre; le chantier de lattage du coquepite tire à sa fin.

"Qui tire à sa faim, tire sans fin" proverbe malgaché....

Grâce à la présence de nos amis Pascaline et Olivier, nous votons pour une journée de vacances. Mené par notre guide "officiel", Paul, notre groupe de joyeux découvreurs de contrées inconnues de nous, embarque dans sa pirogue, toilée comme une intégriste Allah voile. Le torchon, de belle facture, a été taillé dans une épave de spi, cédé probablement par un vagabond des mers, soucieux de gagner quelques kilos avant d'attaquer des contrées moins tolérantes qu'ici. L'embarcation n'est pas particulièrement légère; par contre, sa coque en est effilée comme un couteau, et, avec son balancier, longue et fine torpille en bois d'arbre, l'ensemble est plutot véloce. C'est un régal de naviguer de cette manière; on a l'impression d'être aspiré quelques centaines d'années dans le passé (le tissu aspi, sans doute.....). Paul mène l'esquif jusqu'à la berge, à travers la mangrove, et la randonnée se poursuit à pieds, gravissant d'abord une colline de latérite, puis cheminant à l'ombre d'un sous-bois rafraichissant, et nous parvenons bientôt au village d'Ampandran, où pas le plus petit début de modernisme ne trahit notre vingt et unième siècle. Les maisons sur pilotis sont toutes issues de l'arbre du voyageur (mais pas le même, forcémment.....). Les cocotiers, décapités par le dernier cyclone, laissent le soleil écraser librement de sa chaleur les larges espaces sablonneux qui séparent les habitations. Dans chaque foyer, le riz mijote sur des feux de bois, dans des marmites en alu. Les villageois sont avenants et souriants; peut-être grâce à Paul, qui, étant ici dans le village de sa femme, connait tout le monde, et glisse probablement de petits commentaires favorables.

Un charpentier de marine, installé à l'ombre d'un tamarin (le tamarin de la marine, donc.....), taille à la machette, non pas une pipe, car il ne fume pas, mais une pièce de remplacement (spare part, en anglais.....) pour réparer une pirogue, rompue par les outrages du temps. Ce faisant, il discute pépère avec un autre indigène, guère plus énérvé que lui; son client peut-être.....c'est pas les cadences infernales, en tous cas!

Pour la question de l'eau, les villageois disposent d'un puit, auquel les femmes viennent puiser le liquide marron, passablement "chargé", qu'elles filtrent ensuite dans un linge, avant de le mettre, non pas dans le pastis, car, d'une manière générale, le pauvre est peu amateur de pastis par ici, et, d'ailleurs je ne connais pas l'explication de cet étrange phénomène.....,mais tout simplement pour faire cuire le riz, ou pire, la boire cul-sec! (le pauvre n'est pas toujours très raffiné dans le choix de ses breuvages, même le samedi soir....). L'ambiance est très sereine, sans animosité ni tension palpable.....un genre de paradis sans pastis (mais on ne peut pas tout avoir non plus, comme disait l'ennuque.....).

Le vent a tourné, et le retour se fait promptement, au portant. Le déjeuner, préparé par la femme de Paul, et servi sous un abri de palme, face à la plage et au mouillage, est apprécié de tous: riz au coco et poisson grillé, arrosé d'eau citronnée; des plaisirs simples.

J'ai promis à Paul de réparer son aviron et sa machette à la résine époxy.

Samedi 12 Octobre; dernière journée de boulo intensif, avant de reprendre notre vagabondage, sur côtes et entrecôtes....le menu reste copieux pour aujourd'hui: nouvelle intervention sur la drisse de grand'voile, et carénage complet avec l'aide de Malou, qui a terminé la finition du lattage de cockpit (le résultat est superbe, et nous allons peut-être même commercialiser ce nouveau produit).

Mon copain Paul va pouvoir frimer, avec sa pagaie et sa machette renforcés carbone/époxy (avec les chutes d'un safran que j'avais fait pour le "Ville de Paris" de Marc Pajot, au siècle dernier....), clin d'oeil de dérision au coeur de cet environnement moyennâgeux.

Mireille et Pascal nous ont rejoint à bord de leur superbe Marquise56 "Island coyotte", alors que Neos a repris sa route ce matin, ce que nous ferons aussi dès demain.

Dimanche 13 Octobre; avant d'appareiller, nous tenons à aller faire la connaissance de Clarisse, la maitresse d'école qui ouvre demain matin cette école maternelle pour laquelle elle se démène depuis des mois. Ce n'est pas une mince affaire, car les gens sont fort démunis et loin de tout ici. Malou a rassemblé diverses petites choses que Clarisse pourra mettre à disposition de ses sept écoliers ayant de quatre à sept ans. Le charpentier du village est affairé à fabriquer la table et les bancs qui constitueront le seul mobilier de la classe.

Aux vagabonds des îles qui passeront par ici, je dis, faites présent à Clarisse de tout ce que pouvez trouver d'utile pour son école, y compris des fringues, car la plupart des mômes sont plus vétus de trous que de tissus. D'ailleurs, n'importe qui peut envoyer quelquechose à l'adresse:" Clarisse, maitresse d'école, Baie des Russes, Madagascar", elle affirme que ça arrivera à destination (sans doute beaucoup mieux qu'avec ces ONG fourbes dont on dit que seulement 2% de ce qui est envoyé ici parvient au petit peuple, le reste étant massivement détourné à des fins lucratives perso).