lundi 9 Décembre;

East London, ville dénuée de charme....pourtant, en cette fin de journée bien remplie, nous savourons la bonne idée que c'était de mettre le clignotant à droite, pour y venir, quand tout nous poussait à poursuivre vers le sud-ouest.....

retour en arrière:

nous quittons Durban ce samedi matin vers 9 heures, dans une atmosphère moite; la dernière depression vient de s'essouffler, laissant derrière elle une mer chaotique, un vent souffreteux et un ciel chargé comme une haleine de bouzier, qui nous lâche de temps en temps quelques bouffées de brumisateur intempestif comme pour bien nous rabâcher: "ici, c'est pas les tropiques".....(comme si on ne s'en était pas aperçu....). La fenêtre météo que nous tentons de cueillir, semble si large que c'en est quasimment une véranda; aucun coup de vent d'ouest prévu avant au moins 6 jours!!!! exceptionnel. Aussi, les candidats à la migration sont-ils nombreux, et, pour la plupart, bien décidés à filer au maximum vers l'ouest. De notre coté, rien n'est encore décidé; nous sommes au début de l'été austral, et donc, inutile de se précipiter; des fenêtres, il y en aura d'autres. Route moteur, donc, puisque le vent est trop faiblard pour avancer raisonnablement. Après quelques heures, nous chopons enfin le fameux courant des aiguilles, et la vitesse croit sensiblement, en dépit de l'absence de brise. Après une nuit complète sous propulsion mécanique, le vent se lève au petit jour, et Catafjord retrouve sa condition de voilier, grand'voile haute et génois tangonné au vent; neuf noeuds, dont deux et demi de courant....la fatigue de la nuit ayant ses effets habituels, il ne nous faudra pas longtemps pour décider de faire escale à East London, que nous atteignons vers 17h. Aucun des canotes partis en même temps que nous n'est encore arrivé. Hélas, c'est au moment de franchir les jetées que le moteur tribord décide inopportunément de s'arrêter, et refuse tout service.....Je suis certain qu'il s'agit d'un problème d'alimentation; pourtant, j'ai remplacé les filtres il n'y a pas un mois. Nous atteignons le fond du port avec le seul moteur disponible, pour mouiller l'ancre à proximité du petit yacht club, et non loin du pont qui barre la rivière.....Repos.

Il me faudra toute la journée de Lundi pour venir à bout du problème d'alimentation du moteur tribord, dû à des boues mises en supension dans le gas-oil par la lessiveuse du courant des aiguilles, et qui ont colmaté le pré-filtre, malgré la présence d'un gros décanteur en amont. Et, donc, ce soir, non seulement le problème est résolu sans autre dommage qu'un remplacement de cartouche filtrante, mais, en plus, nous trouvons le temps de passer un agréable moment en compagnie de l'équipage australien du cata "Gabriel", venu, lui aussi, se reposer ici avant de poursuivre vers Port Elizabeth.

Mardi 10 Décembre; pluie toute la journée! nous nous rendons en ville en bottes et cirés, comme au bon vieux temps de nos navigations hivernales en Bretagne, afin d'y quérir une petite réserve de filtres.....pour l'avenir. De retour vers midi, c'est derrière les carreaux d'un restaurant vide, que nous savourons un des meilleur beef-burger que nous ayons jamais dégusté (mais il faut reconnaitre que nous en mangeons rarement). Nos potes de "Gabriel" sont partis vers Port Elizabeth; "Pi-é", comme ils disent.....ça fait bizarre comme expression: "nous allons à Pié en bateau".....ben, faudrait savoir; ce n'est pas pareil tout de même....."et qu'est-ce que vous mettez comme chaussures pour aller à Pié en bateau?".....bref

Jeudi 12 Décembre; il n'y a pas douze heures que nous sommes arrivés, et déjà j'aime ce port. Nous y sommes entrés la nuit dernière, vers 23 heures, au terme d'une étape de 130 milles parcourue intégralement avec l'aide des deux moteurs, qui ne se sont autorisés aucune facétie, cette fois. Vitesse de croisière: 7,2 noeuds. Précisemment la vitesse prévue pour notre prochain canote à moteurs....une journée initiatique en quelque sorte. Avec, pourtant deux heures à plus de treize noeuds, grâce à un tout petit peu de vent et surtout à presque cinq noeuds de courant. Bref, le temps de nous repérer de nuit dans ce grand port de commerce trop éclairé (ça éblouit...), de sélectionner un petit bout de quai disponible, de nous y amarrer, de discuter avec les matelots d'un bateau de pêche local, de quitter ce bout de quai pour un autre situé un peu plus loin, et où nous risquons moins de déranger, et de nous y amarrer enfin....., il est minuit passé, et nous tombons de fatigue....

C'est donc, ce jeudi matin que commencent à s'accumuler les éléments qui nous rendent cet endroit sympatique. J'ai toujours aimé les ports actifs. Depuis ma petite enfance, à Saint Pierre, où le port s'emplissait à l'approche de l'hiver, de dizaines de chalutiers, confinés aux abris par le mauvais temps et la glace, jusqu'à mes débuts d'adulte où mon apprentissage de marine marchande m'amenait dans tous les grands ports d'Atlantique, des Caraïbes et de Mer du Nord, ces lieux de vie effervescents ont ancré en moi une affection particulière pour les gens de mer et leur environnement. Aujourd'hui, avec Catafjord amarré au milieu des bateaux de pêche sud-africains, aux équipages gouailleurs, enjoués, spontanés, timides, bienveillants pour la plupart, et respectueux du voyageur qui arrive de derrière l'horizon, je me sens chez moi. Sortant du carré, un sac poubelle à la main, en quête d'une benne, je n'ai pas le temps de gravir le quai qu'un matelot me fait signe de lui confier cette poubelle, qu'il va déposer illico, en échange de rien.... juste pour manifester sa sympathie, comme ça, spontanément.....exactement comme les deux qui nous ont aidé à accoster la nuit dernière. J'ose à peine imaginer la même scène à La Turballe ou au Gilvinec, par exemple.....un cata de vingt mètres battant pavillon d'Afrique du sud, arrive et accoste au milieu des canotes locaux avec son équipage de papy/mamy.....combien de minutes s'écouleraient avant l'éjection avec pertes et fracas sous le feu nourris de quolibets acides??? Bien sûr, ces quais ne sont pas exempts de quelques immondices professionnels, comme des traces de sel, ou de produits gras par ci par là, mais cependant, je préfère cent fois la compagnie de ces gars affairés à débarquer leur pêche, réparer les bobos de la dernière campagne, et réapprovisionner en vivres frais et en glace pour le prochain appareillage, à celle de ces nababs hautins et pédants, briquant mollement l'inox de leur ferrure d'étrave qui ne s'use jamais car on ne s'en sert point, car naviguant seulement de marina en marina.....comme un gros bourgeois déplumé, confit dans son aisance.

Malou est parfaite dans son rôle de tour opérator, car elle n'opére pas à torts et à travers. Elle compulse moults documents et sites internet, à dessein de nous concocter quelques excursions toujours pleines d'attraits. Le sujet du moment s'appelle "Adoo elephant park".... une reserve qui, commencée il y a seulement quelques années avec 6 bestioles, en compte à ce jour plus de cinq cents, à tel point qu'il est devenu urgent de réguler....et donc, quelqu'un a émis l'intéressante idée d'avoir recours à la contraception pour freiner un peu la prolifération pachydermique trépidante......Je me marre, bêtement, en imaginant la débrouillardise africaine au service de la régulation des naissances en milieu éléphantesque......j'imagine bien une mégacapote, taillée dans une chambre à air de camion......avec un noeud au bout.....Et qui c'est qui va le mettre en place, cet élastique?.....pourquoi pas un ex-inséminateur, réduit au chômdu par ces nouvelles dispositions. Et, au fait, comment procédait-il cet inséminateur, du temps ou il procréait? j'imagine que son bras ne devait pas suffire.....c'est bien plus gros qu'une vache, un éléphant.....peut-être rentrait-il tout entier dans la caverne vaginale, vétu d'un genre de combinaison de plongée, en poussant devant lui un jerrican de foutre en forme d'obus......ouah le stress! et si tout à coup l'éléphante est prise d'un orgasme dévastateur....le type se transforme immédiatement en homme-canon à l'envers, dégoulinant comme un beignet.....quelle horreur.....mais où diverge-je encore?....

Samedi 15 Décembre; le minibus, réservé hier par Malou, est bien là, à l'heure dite. Nous sommes ses seuls clients, on ne va donc pas être à l'étroit? Direction les townships, d'où notre guide est lui-même issu, ce qui lui permet de bien maitriser son sujet. Bien sûr, l'endroit n'est pas très festif, surtout que nous démarrons la visite par un quartier assez ancien..... exprès, de manière à nous émouvoir au maximum; pourtant, malgré le manque flagrant de confort et de modernité, ce dénuement est encore bien éloigné de celui de la grande majorité des malgaches. Curieuse coïncidence, c'est aujourd'hui le début des obsèques de celui qui a fait évoluer les choses pour tous ces gens, Nelson Mandela dit "Madiba".

Port Elizabeth compte un million et demi d'habitants, dont soixante pour cent sont au chômage; les township, dont les plus récents sont très décents, abritent cinq cent mille personnes! Constitués d'habitations toutes identiques, alignées comme des soldats, les plus merdiques n'ont pas d'éléctricité, et l'eau n'y est disponible qu'à des robinets publics placés ici et là, cependant que les chiottes sont vidangées une fois par semaine, car il n'y a pas de réseau.....L'accès à une maison est gratuit, et ceux qui n'ont pas de boulot perçoivent une allocation qui leur permet de se nourrir. Chaque maison abrite une famille entière, de trois générations souvent, dans une trentaine de mètres/carrés. Les habitations récentes possèdent l'eau courante et l'éléctricité (qu'il faut payer, bien sûr), ainsi que le tout-à-l'égout. Les choses évoluent, donc, mais lentement, et beaucoup logent encore dans ces espèces de taudis organisés.

De nombreuses usines font travailler une partie de ces gens, principalement dans le secteur automobile. Le tourisme est également important dans l'économie.

Après ce tour d'horizon de l'habitat populaire sud-africain, notre chauffeur nous amène au parc des éléphants, dont au sujet duquel, je me demande si je ne me suis pas un peu éloigné tout-à-l'heure, mais ça, c'est mon coté "poète", alors qu'y faire......?

Comme c'était prévisible, des éléphants, il y en a plein partout, et c'est très bien, sauf, que c'est beaucoup trop encombrant pour faire un animal de compagnie acceptable. Par chance, il nous est permis de voir un lion....pas tout près, mais, disons à cent mètres. Il est là, à l'ombre d'un bosquet, allongé dans la position du sphinx, supervisant son territoire dans une royale indolence. Fameux comédien, (mais peut-être est-ce un lion professionnel, payé par le comité des fêtes, pour faire son show quotidien....), au bout d'un moment, il se dresse sur ses quatres pattes, parcours une distance que j'évalue approximativement à 2 mètres et vingt centimètres, se pose sur son séant pendant une période que j'évalue à quarante deux secondes, puis se recouche....épuisé! celui qui possède un bon tétéobjectif, celui-là est heureux, car il a pu faire de belles images.....les autres auront de jolis souvenirs dans la tête, et c'est déjà beaucoup.

Dimanche 16 Décembre; c'est à pieds que nous nous rendons au marché artisanal, le long du front de mer, deux ou trois kilomètres vers l'ouest. De nombreux objets, faits main, sont exposés à même le sol, mais peu sont fabriqués ici en Afrique du sud; ils viennent plutôt du Kenya, de Namibie, ou même du Sénégal. Cependant, un style local s'est développé sous la dénomination de "township'art", essentiellement conçus à base d'objets et de matériaux de récupération, et qui illustrent de belle manière toute l'inventivité débrouillarde de ces peuples, habitués à se dépatouiller de tout avec pas grand'chose.

L'après-midi nous voit parcourir en tous sens le musée "bay world" qui présente de remarquables reconstitutions d'animaux préhistoriques, tout un pavillon sur les grands mammifères marins, et un sympathique spectacle de phoques, sans grande prétention, sauf que la dresseuse est joliment tournée, et ça met les phoques en valeur......si, si.

Lundi 17 Décembre; c'est pas tout ça, mais on ne va peut-être pas non plus prendre racine.....demain, si tout continue à se bien présenter, nous appareillerons pour Mossel bay, nous rapprochant encore un peu de l'océan Atlantique.....