Mercredi 18 Décembre;

Après avoir cotoyé nombre de gars pas net, dans le monde entier, voici qu'il nous est donné de rencontrer le "gannet du cap", qui n'est pas un drôle d'oiseau, mais, au contraire, un admirable volatile, en noir et blanc, dont les colonies défilent aux nues autour de Catafjord en un gracieux collier céléste, ondulant comme la queue d'un cerf-volant à plumes. Cette journée en mer n'est que paix et félicité; ciel immaculé, une écharpe de coton habille la bande littorale, et la mer, à peine moutonnée par une honnête brise de sud, fait son numéro de charme. Vautré peinard sur le siège de barre, je veille avec indolence, en digérant le délicieux repas de Malou, accompagné par Maud Fontenoy....en livre (Le sel de la vie; Arthaud poche). Bien que la température ne soit pas tropicale (du tout...), voilà tout de même des conditions de navigation de rêve; aussi, c'est sans regret que nous nous éloignons de Port Elizabeth pour filer vers Mossel bay, à la faveur de cette fenêtre météo que nous guettions depuis quelques jours.

Mis à part, la fraicheur, la nuit s'annonce magique. Madame la lune, au regard bienveillant et réconfortant, est au rendez-vous; sa lumière blafard humanise le désert nocturne; celui-là même qui semble nous engloutir en son sein lorsqu'elle ne luit point, nous abandonnant alors dans l'univers oppressant de sombritude et de pesante noirceur que sont certaines nuits en mer. La brise elle-même est idéale: dix huit noeuds de vent arrière.....bon, j'idéalise un petit peu, car, la voile , c'est toujours la voile.....faut juste aimer prendre un ris à une heure du matin, entre deux quarts, car le vent est monté, et on ne voudrait pas casser quèquechose....; et, puis, on dort mieux quand on est prudent. A sept petits noeuds, Catafjord glisse mollement sur l'onde aimable dans un confort oléopneumatique.....Naviguant à une distance de la côte finement calculée (je ne dis pas ça pour moi, mais bon, faut reconnaitre......), nous ne sommes pas génés par les autres bateaux qui croient que la mer est à eux; les cargos sont plus au large, et les quelques péchoux occupés à taquiner le céphalopode sont à la côte.....nous, au milieu, on est bien peinard, et ce n'est que justice! je ne saurais expliquer pourquoi; je le sens, c'est tout.

En vous racontant tout ça, je réalise que les conditions nécessaires et suffisantes pour passer une bonne nuit en mer sont tout de même en quantité tellement suffisantes qu'il n'est pas très étonnant que ce soit un peu rare, à mon goût.

Jeudi 19 Décembre; arrivée à Mossel bay; nous sommes accueillis par un phoque! attention, soyons clairs: je ne vous entretien pas du couple d'homos qui gère le restau du yacht club....nous sommes encore en mer. C'est un insouciant pinnipède (relativement évocateur comme vocable......), qui est l'objet de nos regards aus yeux ronds: dans la posture dite "de la bouée cardinale", seul émérge son appendice caudal, qui bat l'air nonchalamment, à la manière d'un bizarre éventail marron. Nous ayant enfin aperçu, sa sympathique frimousse pointue à moustaches nous jette un regard curieux avant qu'il ne disparaisse en un gracieux plongeon. Je suis toujours ébahi de constater comme ces bestioles, à l'instar des dauphins, semblent "rentrer" dans la mer, comme en un mystérieux tunnel, invisible pour nous, en ne créant aucune éclaboussure et aucun remous. Par exemple, vous verrez rarement un éléphant procéder de la sorte.....

A propos de "gars pas net", la zone portuaire de Mossel bay possède une particularité rarissime: les préposés chargés d'en contrôler les accès sont équipés de détécteurs de mec bourré! Ainsi, avant de franchir un des nombreux tourniquets de passage , chaque postulant doit souffler dans un petit boitier que le fonctionnaire vous colle sous le nez, et qui lui indique votre supposé état de sobriété.....Incroyable, non? Mossel bay, le seul port au monde où le marin pété n'est pas censé l'être.....on frémit à l'idée d'un tel système mis en place, disons, dans l'ouest de la France, par exemple......quel danger pour le pays! les arsenaux seraient tout le temps vides.

Samedi 21 Décembre;

le câble de commande des gazs du moteur tribord vient de faillir lamentablement.....il était devenu très dur depuis quelques temps, et voilà qu'il s'est cassé net. Par chance, l'incident ne s'est pas produit lors d'une manoeuvre délicate; ça aurait pu mal tourner. Résultat, toute la journée de boulot pour le remplacer; le ship local n'en possédant pas d'aussi long, il me faut improviser un système d'assemblage de deux câbles trop courts pour résoudre le problème.....

Dimanche 22 Décembre;

Mossel bay étant un agréable lieu de vacances, dont la population double chaque année à cette période pendant environ un mois, de nombreux endroits sont aménagés pour se balader et flâner tout en se culturant. Et c'est ce que nous faisons en empruntant le sympathique chemin côtier qui mène au phare. En contrebas, le spectacle est omniprésent et varié. Le gros swell qui enfle à l'approche des hauts-fonds génère de majestueux rouleaux qui transportent les surfeurs....de joie. Un peu plus loin, les roches déchiquetées par l'assaut des vagues a formé de multiples piscines naturelles dans lesquelles s'ébattent par centaines des gens qui aiment l'eau pas trop chaude. Parfois, l'écume submerge la barrière rocheuse, et tout le monde patauge alors dans une monstrueuse bassine de chantilly au poivre ( pollution.....). Le chemin se prolonge en grimpette qui donne accès au phare, méga sucre d'orge sexigonal rouge et blanc, fièrement perché sur son promontoire. Sur le coté, des cavernes où un écriteau explique que l'humanité a débuté ici.....c'est prouvé par des études sur l'ADN de restes humains......aussi est-il plus poli de sussurer "bonjour pépé" en passant par là.

Lundi 23 Décembre;

jour présumé de la sortie de l'eau de Catafjord pour cause de carénage. Malgré les dimensions respectables du slipway, le décamètre a lâché son verdict, "ça passe juste-juste"......mais, bon, le "harbour master" a donné son feu vert après moults palabres et négociations avec Malou, et donc, voici venu le moment de positionner le bazar sur le chariot. Pas moins de six employés du port s'occupent à tirer sur différentes ficelles pour tenter de centrer parfaitement le canote sur les tins de bois; ils obtiennent un résultat que je qualifierais d'approximatif......pour être gentil. Le puissant treuil hâle cependant son lourd fardeau qui s'extirpe lentement des flots; j'embarque proptement sur leur barcasse afin de surveiller de tout près la sortie de bains....quand, soudain, un craquement sec, du genre comme quand on casse une branche sur le genou pour le barbeuc, sauf que la saucisse, c'est Catafjord......STOPPPPPP!!! que je dis fort, très fort; et dans un très bon anglais avec un accent d'Oxfort quartier nord-ouest, au bout à gauche, je communique au "slipmaster" (bonjour le métier: "slipmaster"....le patron du slip!) mon idée que, si on arrête tout et qu'on fait marche arrière, ça ferait comme un meilleur joyeux Noël pour tout le monde......il opine du chef (normal pour un slipmaster....). Retour à la case départ, avec la satisfaction du "avoir essayé" accompli. Pas de carénage, mais pas de bobo non plus.....la belle vie, quoi!

La fin d'après-midi nous réserve une agréable surprise. Notre voisine de quai, une belle goëlette en alu de vingt mètres du nom de "Lady Amber" est commandée depuis de nombreuses années par son barbu de capitaine: Peter Flanagan. Peter nous a aidé à amarrer Catafjord lors de notre arrivée, ponctuant son action d'un jovial "venez prendre une bière à bord à l'occasion".....moi, poli, je ne saurais manquer à mon engagement, et, donc, c'est maintenant. Peter s'avère être un personnage intéressant. Redoutable bouffeur de milles, il a bouclé rien moins que six tours du monde, enchainant principalement des missions scientifiques de plusieurs mois, consacrées à l'acquisition et à l'exploitations de données relatives à l'écologie. Il collabore, en particulier, à un programme international d'éducation scientifique qui regroupe 57000 enseignants et 24000 écoles à travers le monde: "Globe".

www.globe.gov

www.schoonerladyamber.wordpress.com

Avec sa goëlette, il a immergé des dizaines de balises d'acquisition de données, lesquelles arrosent quotidiennement la communauté scientifiques en informations fiables et en temps réel; en particulier, température et salinité de l'eau entre 0 et 2000 mètres de fond (il y en a 3300 réparties dans toutes les mers du monde).

Jour de Noël!

décidemment, Mossel bay est une escale riche en rencontres sympathiques. Nous sommes invités à passer la journée dans une ferme, en compagnie de notre pote, Schalk, et de sa famille. Voilà encore un gars qui possède une particularité pas très répandue: il a eu un pied détruit dans un accident de moto, et il a fallu l'en emputer.....peu gaspilleur, notre gars a trouvé sur e-bay, un pied en carbone qui lui va comme gant et qu'il a acquis pour seulement cent euros.....pas cher!

Je m'en veux un peu de n'avoir pas pensé à me chercher une prothèse de hanche sur e-bay..... j'ai sans doute été un peu dispendieux sur ce coup-là. En même temps, aurais-je trouvé ma taille?.....et puis, je n'aurais pas eu le choix de la couleur.....bien que, si je me souviens bien, je ne l'ai pas eu.....en tous cas, c'est fait c'est fait; je ne vais pas changer maintenant. Le plus poilant, c'est de penser que nombre de gars ne parviennent pas à trouver chaussure à leur pied, alors que lui, il a trouvé pied à sa chaussure!!!!! très fort!!

Eu égard qu'on est le 26 décembre, je ne vous fais pas le coup du joyeux noël.....et, comme Malou est en train de préparer sa montagne de voeux de nouvel an.....pour le moment, wait and sea.