Dimanche 26 Janvier; notre Toyota de loc roule depuis bientôt une heure, et voici enfin que le paysage s'anime un peu. Fini les longues routes parfaitement rectilignes, bordées d'une végétation austère, où même les buissons rouillent tellement la terre est ferrugineuse......tout est plus ou moins rouge terreux depuis notre départ de Saldanha. Place maintenant aux vallons couverts de vignes et aux villages couverts de villageoises et largement typés de hollandisme des Pays-bas (à ne pas confondre avec celui de notre Gaule dont au sujet duquel je ne dirais pas un mot, sauf peut-être:"eh bé!!!!!"): coquet, propret, bien rangé, pas trop de fantaisie surtout.

Le but de notre incursion dans cet univers bien peu nautique est de visiter quelques domaines viticoles, et d'y procéder à diverses dégustations, à dessein, pourquoi pas, de nous constituer peut-être un petit début de cavavin.....car nous sommes ici au coeur de la région productrice de picrate d'Afrique du sud. N'oublions pas qu'il y a ici des quidams qui produisent du jus de raisin de père en fils depuis pas loin de 400 ans! Aussi, à moins d'imaginer que ces gens-là ne soient qu'un ramassis de benêts, il semble fort probable qu'il y ait ici comme un genre de savoir-faire dans ce domaine.....

Et justement, je vous le donne en mille, plus un petit bonus de 12%, soit mille cent vingt, je vous le donne donc en mille cent vingt (n'insistez pas, je n'irais pas plus loin): on trouve dans le quartier quelques petits pinards "ben gouleyants" pour deux ou trois fois moins cher qu'en Gaule, le pays où la vie est plus chère. Alors, bien sûr, on m'objectera qu'un employé sudaf se paye dix fois moins que son homologue bordelais ou lyonnais.....ce qui, à mon sens, est profondément regrettable, et donc, ceci explique celà....... ouaihhhhh, si encore ce dernier, nonobstant sa situation nettement plus enviable, ne pleurnichait et ne se plaignait pas environ dix fois plus......mais je m'égare une fois de plus....

Parmi les nombreuses espèces d'oiseaux de mer qu'on peut observer dans ce bout du monde Africain, il en est une qui, par son élégance et son bon goût vestimentaire, me séduit particulièrement. Son corps, noir comme l'âme d'un contrôleur du fisc, met en valeur cet élancé bec carmin assorti à ses pattes graciles, c'est l'huitrier. Huitrier, dont le cri d'amour bien connu est, dois-je le rappeller, "huitrrrrr, huitrrrrr, huitrrrrrr", et la devise, véritable profession de foi: "quand l'huître y est, l'huitrier y est, yé, yé, yé". Bel oiseau en tous cas!

Mercredi 29 Janvier; c'est dans un brouillard à couper à la machine à commande numérique (j'en connais que ça amuse beaucoup....) que nous appareillons à 8h30, mettant un terme à notre séjour en Afrique du Sud. Pour le moment, Eole nous boude, et la sortie de la baie de Saldanha s'effectue au moteur, avec moins de cent mètres de visibilité; quelle belle invention que le radar!

Puis, le début d'après-midi apporte une jolie brise qui nettoie l'horizon et stoppe le moteur pour laisser place à la voilure.

C'est parti: Catafjord, avec ses carènes propres, glisse comme une luge sur les collines liquides et scintillantes de l'Atlantique.

Jeudi 30 Janvier, 19h30;

depuis quelques mois déjà, Malou a instauré en navigation une nouvelle tradition que je trouve du meilleur goût: chaque fin de journée, au moment où le soleil s'approche de l'horizon, à dessein de se planquer derrière pendant quelques heures, elle-même s'esquive quelques minutes à la cuisine avant de réapparaitre, apportant un verre de vin et deux ou trois délicieusetés propres à caler la dent creuse. Je trouve que voilà une manière raisonnablement délicate de se préparer à passer une nuit en mer dans la bonne humeur.....cependant que, grand'voile arisée et génois tangonné au vent, Catafjord file gaillardement sans effort apparent, et sans heurt. On a tout de même des bons moments dans cette vie.....

Nous ressentons un grand plaisir à naviguer de nouveau en Atlantique; une espèce d'impression de "chez nous". Bon, bien sûr, il a fallu qu'il nous fasse son petit numéro, la nuit dernière: deux ris partout à deux heures du matin.....c'est la voile, ça. Mais pour autant, ces premières heures de navigation au large, après une longue période de cabotage, nous offrent une satisfaction presque inattendue.

Vendredi 32 Janvier, au petit jour ; la nuit a été belle. Mais notre jolie brise s'évanouit avec le jour naissant, et le moteur babord prend la relève des voiles, qui s'escamotent.

Hélas, le vilain bruit louche ( une sorte de grondement intermittent ) qui affectait la ligne d'arbre babord avant le passage en cale sèche répparait bientôt. Je n'ai pas trouvé clairement son origine; peut-être un jeu excessif dans le palier intermédiaire; ou alors l'hélice a tapé dans un animal marin et faussé un peu l'arbre.

10h/ une équipe de baleines, deux ou trois sans doute, croise notre route. Afin de ne pas les perturber, je ralentis à 2,5 noeuds pour qu'elles passent tranquillement devant nous. Mais voilà qu'au lieu de piger que je les ai bien vues, elles ralentissent, elles aussi, et se mettent à nous accompagner pendant de longues minutes, surgissant dans un "pchouttt" kolossal à quelques mètres de notre canote qui me parait tout-à-coup bien vulnérable (ça fait quand même trente tonnes ces petits animaux de compagnie).

"C'est assez", pense-je; par chance, la curiosité des cétacés s'est tassée aussi, et les voilà partis s'entasser sans tousser, ailleurs....à Sète?

Début d'après-midi; la côte Namibienne apparait, palotte dans la tièdeur brumeuse, laissant à peine deviner ses contours arides et légèrement vallonnés.

A l'approche de la nuit, alors qu'il reste encore plus de quarante milles à parcourir avant Luderitz, nous décidons d'aller mouiller dans "Prince of Wales bay". Grand bien nous prend, car nous y passons une nuit bien tranquille, doucement ballotés par le reste de houle qui a traversé la barrière rocheuse en s'atténuant fortement. L'air est glacial, dommage.

Samedi 1er Février; le jour naissant apporte avec lui une brisette de douze noeuds qui nous permet de terminer le trajet sous grand'voile haute et génois tangonné ( avec toujours ce bon vieux bambou dix fois réparé, modifié, renforcé, et qui semble bien dans son rôle à présent....)

Notre approche progressive confirme largement les impressions d'hier: nous arrivons dans un territoire très aride, au relief peu prononcé, et singulièrement ratiboisé: court devant, ras derrière.

14h; virage à droite afin d'entrer dans la baie qui abrite la petite ville de Luderitz; empannage, donc....tout se passe à merveille, et les roches de Halifax island sont bientôt parées. L'arrivée est proche, et le goût suave du hâvre de paix qui nous attend commence à titiller nos papilles......quand, tout-à-coup soudainement, le vent monte à plus de trente noeuds en quelques minutes, blanchissant la mer de moutons et levant un rude clapot, alors que nous portons toute la toile! inutile de préciser qu'affaler la GV demandera de longues minutes d'efforts. Luderitz nous a réservé un accueil pour le moins "tonique".

Je décide de mouiller un peu loin, derrière tout le monde, afin d'éviter d'aller slalommer entre les bateaux avec ce vent puissant.

Ce n'est pas tout-à-fait du goût de la jolie "Harbour mistress", qui précise, lors de notre vsisite, que nous devrons nous rapprocher avant Lundi, et le retour du grand chef, qui ne va sûrement pas aimer ça...... Cette gentille personne a arrangé avec Malou, par VHF, un rendez-vous avec les autorités de douane et d'immigration pour quinze heures; donc, pas question de nous y soustraire malgré la viguenr du clapot.

La mise à l'eau du Newmatic s'avère carrément rock; et les cirés sont indispensables pour nous rendre à la jetée d'accueil.

Le premier contact est agréable; les gens sont aimables et souriants, et semblent plus "cool" qu'en Afrique du sud. Les formalités se passent comme un imèle sans la poste....avec juste une petite taxe de quelques euros pour cause d'"overtime".

Première petite marche de découverte, dans la cité déserte; tout est fermé le Samedi après-midi. La ville de Luderitz, comme son nom l'indique, possède, certes des origines africaines, mais pas que.....ses rues bien droites, bien propres, bien larges, ses batisses très géométriques aux bétons bien plats et soigneusement peints de couleurs pas vives du tout, sont empreints d'un charme et d'une poésie délicieusement germaniques.

Nous passons le reste de l'après-midi au Yacht club, qui est un endroit bien convivial et propice à faire quelques connaissances.

Dimanche 2 février; ça se confirme, Luderitz, ça décoiffe!!! ça ébouriffe même; et il n'en faudrait pas beaucoup plus pour que ça rase! Heureusement, nous avons profité de la brève accalmie de début de journée pour déplacer le canote et avancer plus prés de l'appontement du Yacht club; nous serons ainsi un peu moins arrosé lors des allées et venues en dinghy.

Par contre, ça ne suffira pas à satisfaire le chef, qui nous demande par VHF de déplacer encore une fois notre modeste barcasse...

Notre merveilleuse ancre Rocna rempli parfaitement son office en maintenant Catafjord parfaitement en place dans les trente-cinq noeuds de vent, et ce, avec une très raisonnable longueur de chaine, car il n'y a pas trop de place.

Par contre, l'avantage, c'est que l'éolienne et les panneaux solaires produisent à fond, et donc nous pouvons fabriquer autant d'eau douce qu'on veut, et même la réchauffer pour la vaisselle avec le surplus d'énérgie.

Lundi 3 Février; rencontre sympa: Charlie et Isa du Lagoon 42 "Ushuaïa", battant pavillon canadien, comme nous, arrivent et mouillent à proximité, accompagnés de leur équipage, Mickey et Marie. Premier apéro, pour faire connaissance, après leurs formalités d'entrée; ils ont cassé un safran en route......ça nous fait un sujet de conversation

Mardi 4 Février; nous avons bien entamé le chargement de vivres pour la prochaine traversée, profitant de la proximité des deux épiceries. Mais, le vent, qui souffle tous les après-midi à trente noeuds et plus, et les températures, qui descendent à dix degrés toutes les nuits nous conduisent à écourter notre séjour, et nous avons décidé de partir demain pour Walvis bay, deux cent vingt milles plus au Nord, afin de trouver des conditions climatiques un peu plus sympa pour préparer le départ d'Afrique.