Jeudi 20 Mars, 8h;

Le guindeau vient d'avaler son petit-déjeuner de chaine de 12, et les deux Yanmar ronronnent en choeur pour faire pivoter Catafjord devant la marina de Jacaré (très bonne adresse; n'hésitez pas à y faire escale). Sur le ponton, nos copains allemands agitent les bras en "au revoir" fraternels; l'escale Brésilienne s'achève. Nous descendons la rivière à bonne allure, aidés par le courant de jusant; Malou range l'intérieur et envoie ses derniers mails avant de perdre la connection avec le relais téléphonique. Avec cette brise légère, j'envoie la grand'voile dès maintenant, histoire d'économiser quelques centilitres de carburant....A l'approche de la petite cité de Cabedello, une âcre odeur d'isolant brulé vient perturber mochement les senteurs campagnardes du petit matin humide. Bah, me dis-je en moi-même, sûrement un ferrailleur local qui brûle des machines éléctriques"tombées du camion" pour en récupérer le cuivre. Cependant, minute après minute, la persistance de cette nuisance olfactive parvient enfin à m'alarmer, et je me décide à opérer quelques vérifications de base. Mille bouziers: l'horreur! le voltmètre de la batterie "guindeau" affiche zéro: un court-circuit!!!! J'isole immédiatement cette batterie et je coupe l'alimentation du guindeau avant de courir à l'avant à la vitesse d'une gazelle en chaleur à l'appel du mâle en pleine possession de ses myens, mais bref. Une fumée dense, et sombre comme une conscience de douanier, s'échappe de la baille à mouillage; qui se transforme en généreuses volutes dès l'ouverture du capot. Serais-ce le génie de la lampe d'Aladin venu exhauser mes voeux.....genre: "Génie, faites que notre guindeau ne soit pas ruiné ". Hélas, de génie, pas la queue d'un; quand au guindeau, il est vachement pas frais. Des lambeaux de plastique foudu pendouillent de l'appareil en misérables stalactites de déchetterie.....Cependant, nous sommes parvenus en mer maintenant, et je ne ressent aucune envie de faire demi-tour. Pas besoin de guindeau pour naviguer; hors c'est plus de 2000 milles qui se présentent devant nous avant la prochaine escale. Nous décidons de filer direct sur la Martinique en supprimant l'escale de La Barbade, pour se donner le temps de réparer correctement avant de cueillir nos prochains invités, Alain et Bleuenn.

La brisette du départ évolue rapidement en un vent suffisamment soutenu pour assurer quasiment neuf noeuds de moyenne. Première prise de ris vers 20 heures, puis la nuit se passe tranquillement, sans mauvaise surprise. Nous commençons à habituer nos carcasses désamarinées aux mouvements du canote et au rythme des quarts.

Vendredi 21 Mars, 18h;

La nuit s'apprête à nous envelopper dans son univers sans couleur. Toute la journée, le vent a été soutenu, sans toutefois se montrer hargneux dans les grains. J'hésite à prendre un deuxième ris "préventif". Pourtant, le ciel est lourd et sombre, embrasé par moments de puissants flashs qui témoignent d'un certaine activité orageuse dans le plafond.....Vers 21h, le festival débute: des éclairs aveuglants nous percent les yeux toutes les trente secondes, cependant que le groupe de percussions spécialisé "djembé" qui habite là-haut se déchaine en un concert tonitruant. Les dieux se sont mis au "gwo kâ" et font la fête ce soir. Le premier grain du "pot-au-noir" nous envoie ses trente noeuds de vent, accompagnés de trois volumes d'eau comme dans le pastis....manquerait plus qu'il tombe des glaçons......Dès que ça se calme un peu, nous en profitons pour crocher le deuxième ris dans la grand'voile et l'artimon. Merci Saint Christophe pour l'implusion: la bourrasque suivante, toujours sous un déluge agrémentée de flashlights hollywoodiens, dépasse allégrement les quarante noeuds. Là dedans, Catafjord, fermement barré par son pilote auto glisse sans heurt jusqu'à quinze noeuds sur une mer presque plate; on serait tenté de dire sans effort. Pourtant, je sais bien que, n'ayant pas la capacité de "saluer" la survente par un coup de gite, à la manière des barques qui trainent du plomb.....le gréement et la structure encaissent tout....Par bonhuer, ça tient.

Vers une heure du mat', le plus mauvais est derrière nous. Le ciel est toujours zebré d'éclairs et les grains se succèderont toute la nuit, mais avec une violence moindre.

Samedi 22 Mars;

Le ciel s'est bien assaini, et, sans être parfaitement dégagé, aucune masse nébuleuse assassine n'est tapie en embuscade à l'horizon. Le vent est passé nordet, signe que le pot-au-noir est probablement derrière nous. Nous avons renvoyé la toile, petit à petit, prudemment, et dormi aussi, à tour de rôle, une bonne partie de la journée. Le soleil vient de débaucher....que nous prépare cette troisième nuit? Vivement le trawler.....

Dimanche 23 Mars; Pourrie! qu'elle a été la troisième nuit! Ni "de Chine", ni câline, ni d'amour, non; de merde! Il n'est pas dans mes façons d'user de mots gras, mais là, je trouve pas mieux. Moins pire, tout de même, que celle d'avant, mais bien merdique quand même. Pléthore d'averses, et le vent qui change tout le temps, en force et en direction.

Mais, bon, là, maintenant, au matin, c'est mieux; sauf que le ciel est encore bien gris. Seulement, c'est un gentil gris uniforme, pas menaçant, et le vent est devenu régulier, une douzaine de noeuds par le travers; ça va. Tout de même, vivement un vrai alizé, avec ses moutons et son ciel bleu.

Mercredi 26 Mars; ça fait maintenant quelques dizaines d'heures que Catafjord s'ébroue joyeusement, jouant à saute-mouton (la distraction préférée du berger....) avec les buttes liquides jetées sur son chemin par un brave alizé de nord-est, clément et régulier. Nous avalons nos deux cent milles quotidiens dans un confort assez relatif, malgré tout, mais sans solliciter abusivement le matériel.

Un petit message, reçu de Claire manifestant son impatience à nous retrouver, nous pousse à prendre la décision de nous dérouter, direction Pointe-à-Pître direct; cent milles de plus avant les vacances...... Au point où nous en sommes, ça ne nous demande pas un effort kolossal.

Samedi 29 Mars, jour de poisse.

C'était un peu trop beau aussi, cette traversée rapide et sans emmerde, où les journées de plus de deux cent vingt milles s'enchainent comme les verres d'apéro dans le fêtes de famille. Nous nous acheminions doucement vers une traversée particulièrement rapide pour un couple de papys en croisière.....Las, encore eût-il fallu conserver le bec bien clos; ne pas en parler surtout; c'est ça l'erreur. En parler, c'est presque considérer que c'est fait.....et ça.....ça attire immanquablement le mauvais oeil. Attention, moi, je n'y crois pas, bien sûr, à tous ces trucs; le mauvais oeil....pensez donc. Mais ça ne suffit pas de ne pas y croire; encore faut-il que le mauvais oeil lui non plus ne croit pas à nous.....sinon, c'est râpé! Et donc, une prévision d'arrivée vachtement optimiste, on doit se la garder uniquement pour soi, et c'est tout. Ne rien dire à personne, sinon.....

Nouvelle nuit de merdasse grâve.....le vent qui emmerde le marin de toute ses forces, des grains à trente noeuds et plus, et on se retrouve au matin avec le chariot de tétière de grand'voile arraché, coincé dans la gorge du mât, en train de se dandiner mollement sur une mer désordonnée, repoussé en arrière par deux noeuds de courant contraire!!! et, là, paf l'E.T.A. (estimated time arrival).

Y a pas à dire, pour s'empoisonner la vie à déplacer sa cabane avec des voiles, faut être beaucoup motivé......quand tout serait si simple avec un bon trawler.....Et justement, en attendant, c'est encore une fois les moteurs qui sauvent le coup en ronronnant doucement en direction de la Guadeloupe jusqu'au retour d'un vent corrèque.

Dimanche 30 Mars; La Barbade par le travers; ça fait maintenant une vingtaine d'heures que l'alizé est revenu à de meilleurs sentiments à notre égard. Malgré la grand'voile, vissée à son deuxième ris, que je n'ai pas affalée en dépit de son absence de tétière (ça fait un peu la gueule, mais, ça propulse quand même), malgré le courant contraire qui a atteind trois neuds à son paroxysme.....malgré des vagues courtes et hargneuses qui nous ont pété un renfort dans la coque babord, nous ne sommes plus qu'à deux cent onze milles de PàP, et j'ai dans la tête une heure d'arrivée hypothétique dont au sujet de laquelle je ne dirais rien de rien, et pis c'est tout! Winch allah

Lundi 31 Mars au matin; l'arrivée dans les eaux carribéennes est un véritable ravissement. Déjà, la nuit a été jolie, calme et sereine, sympa quoi. Pas rapide, avec cette malheureuse grand'voile rivée à deux ris, mais, agréable; avec la présence rassurante de la Martinique, une vingtaine de milles sous notre vent, dont le phare nous fait un clin d'oeil complice toutes les vingt secondes. Puis, c'est au tour de la Dominique de faire le fond d'écran; nettement moins lumineuse, la Dominique......on sent bien que le budget alloué à l'éclairage du firmament est nettement plus étriqué que chez les voisins français. Le pauvre est volontiers pingre sur les éclairages publics, j'ai remarqué.....

Onze heure du matin; Marie-Galante, la douce Marie-Galante, patrie incontestable et internationale du bon rhum agricole, défile sur notre droite, cependant que le féerique archipel des Saintes occupe l'horizon opposé. Droit devant, au loin, les sommets de la Basse-Terre roulent indéfiniment leurs balles de coton qu'elles projètent au ciel comme des ballons d'enfants éphémères et dérisoires. La brise est légère, la mer scintillante, et la ligne de pêche vierge de toute proie..... pour le moment......Ainsi, la vie est belle pour tout le monde. Malou s'active, infatigable fourmi nettoyeuse, pour accueillir dignement nos Guadeloupéens chéris à bord, dans quelques heures seulement.

Onze heure trente; dernier déjeuner de la traversée; Malou ouvre une boite de saucisses aux Antilles, que nous dégustons avec gourmandise.....et c'est le moment que choisit une jolie bonite pour s'inviter dans le freezer; à une demi-heure près, elle coupait l'herbe sous le pied aux saucisses.....on est peu de chose quand même.

Voilà,

dans quelques heures, le rideau va se baisser sur la scène "voyagedenzo", pour se relever sur une nouvelle tranche de vie.

Ainsi s'achève, avec cette traversée mouvementée, le "voyagedenzo".

ET ENSUITE.......

Projets:

N'ayant pas la prétention d'intéresser les foules avec le récit de notre vie quotidienne, je laisserais, pour un temps, ma plume au repos.

Si d'aventure un éditeur manifestait un minimum d'interêt pour mes gribouillages, je prendrais, bien sûr, et avec plaisir sans doute, le temps d'écrire un livre relatant notre boucle autour du monde......si ça n'était pas le cas, mes déambulations littéraires resteront tout de même le site.

Par contre, n'ayant aucune intention d'arrêter de voyager, j'envisage d'alimenter mon journal du Cap avec les récits que m'auront inspirées nos pérégrinations à venir....., et je compte sur les actuels lecteurs/lectrices pour m'encourager dans ce sens et peut-être même me faire quelques suggestions.

Au chapitre des projets, l'ennui ne risque pas de nous guetter dans un avenir immédiat.

Il nous faut vendre Catafjord pour de multiples raisons qu'il serait fastidieux d'évoquer en ces lignes, et, par voie de conséquence, lui trouver un remplaçant.

Pas facile, car, dans mon idée, ce cata de 50', faiblement motorisé, faisant largement appel à l'énérgie solaire, et respectueux de l'environnement.....n'existe pas sur le marché, pour le moment.....mais nous allons tout de même chercher.....

Je dois également travailler à la mise au point et à la commercialisation d'une voile que j'ai inventée en cours de voyage, et dont un prototype a été réalisé, mais, hélas, pas encore testé. Il s'agit d'une voile de portant pour catas de croisière, utilisable entre 140° et 180° du vent, et que l'on peut réduire à volonté sans quitter son cockpit.

Aussi, l'emploi du temps comprendra, cette année, une escale de trois mois en métropole, entre Juin et Septembre, qui devrait permettre de rendre visite à des amis, parfois délaissés (sauf dans le coeur...) ces dernières années à cause de l'éloignement géographique.....les concernés, levez le doigt, qu'on vous mette dans le planning.

Ajoutez à celà quelques petits coups de mains à Claire, quelques croisières d'agrément tant qu'on a toujours le canote, plus les apéros.....on est pas loin du surbooking....