Samedi 19 Avril 2014

Dure journée, heureusement agrémentée d'une petite satisfaction limite malsaine: le gloutonnement d'une huître par l'arrière....

Mon ami Daniel G., grand expert en navigations intra-canales et inter-îles, hautement spécialisé en Martinique, Dominique et autres lieux en "nique" plus ou moins proches, mais cependant un peu éloignés quand même dès lors que l'alizé prend ses grands airs et joue à mistral gagnant.....ce cher Daniel, donc, prononçait il y a quelques heures seulement cette docte sentence:"j'ai vu la météo; on est sûr de se faire brasser; moi j'irais plus tard."

Et comme la Miloude et moi, peut-être un peu moins la Miloude.....bon, d'accord, surtout moi, lui rétorquait gentiment sur un ton pas tellement moqueur:" vingt noeuds de vent pendant vingt-cinq milles; on ne va en faire une quiche" (surtout qu'on n'a pas les lardons.....) , le vénérable philosophe se drapait dans son paréo de sagesse en lâchant laconiquement (c'est pareil que "lacylindriquement, mais en pointu aux bouts...."): "on en reparlera"....

Hors donc, ce Samedi matin se lève sur un ciel bien chargé, avec des rafales de vent fort agressives qui déboulent de la vallée où se niche le village de Méro, sur la côte ouest de la Dominique. C'est là que nous avons mouillé l'ancre hier soir, avec raison, car la nuit fût des plus tranquilles, bien qu'arrosée par quelques grains de pluie plus ou moins venteux, mais, pas au point de s'en relever la nuit. C'est vrai que les prévisions météo sont peu engageantes; il semblerait que ça va souffler un peu.

Nous sommes pourtant décidés à suivre les directives ancestrales du bon vieux dicton créolohispaniquelabonne:" Allons-y Alonzo, c'est l'alizé"....

Cependant que nous préparons le canote pour un appareillage imminent, plusieurs voiliers défilent, un peu plus au large, route au sud, ainsi que nous projetons de le faire nous-même dans un peu moins de pas longtemps.

Certains n'ont pas encore sorti de toile, d'autres portent juste leur grand'voile arisée, mais tous s'aident de leurs moteurs, car, naviguer à la voile sous le vent des îles est toujours long et fastidieux. Parmi ces candidats à la scéance de shaker dans le canal de la Dominique, un fier monocoque, de taille respectable, surmonté d'un arbre de Noël, file à vive allure, sous la seule poussée de son hélice. Nous venons juste de déraper l'ancre; un moteur embrayé en avant, et l'autre en arrière, Catafjord pivote lentement jusqu'à pointer ses étraves vers le large. C'est le moment que choisit le grand quillard pour monter dans le vent et garnir le sapin. Je sens comme un genre de défi sous-entendu dans sa manoeuvre, et ne tarde pas, moi-même, à établir la toile du temps qui nous attend, là-bas, dans le canal, une dizaine de milles plus au sud.

Parcourir ces milles, sous le vent d'une île vallonnée comme la Dominique, prend un certain temps; les périodes de calme alternent avec les rafales de vingt-cinq noeuds, et il faut sans cesse recourir aux moteurs pour maintenir une vitesse raisonnable.

Mettant cette étape à profit pour se créer un petit matelas de milles d'avance, notre nouvel ami pousse un peu sa mécanique, mais pas nous, et se retrouve ainsi à pointer son unique étrave dans les eaux agitées du canal de la Dominique une bonne demi-heure avant nous....

Dès reception des premières bouffées rageuses notre voisin de gauche, un monocoque de douze mètres, fait immédiatement demi-tour, cependant que le cata sudaf qui cahote depuis un moment à notre droite capte soudain que deux ris, ça sera encore bien beaucoup, et descend donc le torchon d'un étage.

C'est à peu près à ce moment que les prédictions de l'aut'là, le Daniel, nous reviennent au bonnet, bourdonnant d'une oreille à l'autre comme un vombrissement agaçant d'insecte chinkounegougnateux.....

Ainsi, il n'avat pas tort le lascar! L'alizé, ce brave tradewind souvent bonnenfant, est établi à trente noeuds, en atteignant trente-cinq dans les surventes, accompagné de la mer qui va avec. Et comme on est au près, c'est pas cool. Catafjord bondi dans la mousse comme un cheval de rodéo, faisant valser, à l'intérieur, tout ce qui n'est pas bien calé....

Je serais bien tenté de crocher le troisième ris, afin de traverser ce foutu canal tranquilou à six ou sept noeuds, mais, le sudaf, un peu derrière, qui danse encore trois fois plus, ....y s'accroche le pingoin; et puis surtout, l'autre bourrin hautain, encore à trois ou quatre milles devant nous, a largement perdu sous le vent (on est au près).....il me semble même que la distance s'est un peu réduite......

Je suis horriblement tiraillé entre l'obsession de ne rien casser, qui me pousse à la prudence, et l'envie d'en remontrer au transporteur de plomb....Je m'attache à bien faire marcher le bazar, mais sans porter trop de toile. L'artimon reste sagement lové dans son lazy-bag, quand au génois, il est si réduit qu'il dépasse à peine la taille d'un tourmentin. La grand'voile, à deux ris, est ouverte et débordée autant qu'il est possible de le faire à cette allure.

Par bonheur, ça marche!

Deux heures plus tard:

le sudaf s'amenuise inexorablement jusqu'à devenir un papillon posé sur l'horizon, derrière nous, alors que notre hardi plombé atteint le dévent de la Martinique juste assez tard pour bien admirer la poupe double de Catafjord, croisant un demi-mille devant son étrave......

Et c'est à cet instant précis qu'apparait à nos yeux émérveillés ce que j'appellerais "la cerise sur le bateau":il s'agit d'un Oyster65 battant pavillon anglais!!!!!

C'est pas beau ça! chère Jeanne d'arc, si tu m'entends, je te dédie cette modeste victoire fictive. Oui, je sais, c'est pas avec ça que tu va grimper aux rideaux, mais bon, un petit plaisir, aussi modeste soit-il, ça serait ballot de le refuser.

En tous cas, chapeau! au moteur, ça marche super ces canotes-là!

Savez-vous, qu'en dehors de l'humain, l'huître bénéficie de quatre prédateurs: l'étoile de mer, la daurade, l'huitrier, et le bigorneau perceur!

étonnant, non?

Je me sens soudain pris d'un étrange élan de fraternité envers le bigorneau perceur......

"Et si on présentait ton huître à mon bigorneau perceur...." disait le jeune marié.....pour en faire un bigorneau farceur peut-être, ou alors une huître farcie.....

mais où m'égare-je encore?