Une jolie navigation

 

Comme la plupart des voyageurs, nous aimons les escales. Principalement les escales de rêve, où nos résidences secondaires à deux coques nous logent au cœur de l'Eden, comme en apesanteur, survolant un aquarium géant, à quelques tours d'hélices des bouquets de cocotiers qui agitent leurs plumets, ébouriffés sous la caresse de l'alizé.

Mais, bon, des fois, on bouge aussi. Et alors, il s'agit de reprendre sa casquette de capitaine, de tracer une route, de remonter le mouillage, et de faire voile vers le prochain bout de paradis ; situé sous le vent, de préférence.

Nos merveilleux canotes à deux coques sont souvent équipés de gréements fractionnés. Ceux-ci impliquent, en général, une grand ‘voile plutôt imposante (un bon quintal, sur Catafjord…), et un triangle avant plus modeste ; combinaison qui présente quelques avantages aux allures proches du vent, mais, bien peu agréable au vent arrière, et à l'efficacité limitée. Si, « tirer des bords de largue » s'avère très « payant » sur un bateau affuté, c'est très loin d'être le cas sur la plupart des croiseurs pétris de confort, et abondamment pourvus en équipements et pièces de rechange divers, voire d'été…., mais certainement bien « pesants ».

En ce scintillant Dimanche de Janvier, nous abandonnons dans notre sillage le charme délicat de Marie-Galante, cap au nord-ouest, direction Antigua et son pittoresque « English Harbour ». L'alizé est un peu irrégulier, avec des grains erratiques, mais ça reste du joli temps.

Sitôt parée la Pointe des Châteaux, notre merveilleux « Pleejonk » entre en scène. Avec ses 110° d'angles d'utilisation, il peut se porter dès que le vent est un peu sur l'arrière du travers, et jusqu'au vent  « plein-cul » (vieille expression qui n'est pas un gros-mot….). Sitôt établi, Catafjord se cale immédiatement à 9,2 nœuds, cinglant dans la plus grande quiétude vers ce sanctuaire du beau voilier qu'est le bassin Nelson.

Depuis presque dix ans que nous naviguons sous les tropiques, nos sens se sont affutés ; le ciel nous parle…..Et, là, le ciel, il me dit qu'avec ce grain sombre et menaçant qui pousse devant lui son arrosoir d'eau fraiche, je serais bien avisé de ne pas faire le malin (pourtant, j'aime bien, des fois…). Je vais réduire ; un peu.

Malgré les 130 mètres/carrés qui poussent le canote exactement à la même vitesse que notre ancien spi de 170 m2, grâce aux bretelles dyneema, la manœuvre est une aimable plaisanterie. En une minute, l'affaire est entendue, surtout que je pratique, pour la circonstance, deux ruses imparables : premio, je commence par choquer la drisse jusqu'à amener la toile à quelques centimètres au-dessus des flots, deuxio, j'utilise le winch électrique ! Oui, je sais, c'est pas très sportif comme méthode, mais, oh, on n'est plus si jeunes.

Pour le coup, j'ai bien fait de rester méfiant, car c'est maintenant une bonne trentaine de nœuds de vent qui nous propulse gaillardement à presque 13 nœuds. Et, en plus, Maryse sur le bateau (comme on dit), malgré un changement de direction du vent de quarante degrés ! Pas besoin de toucher au pilote ; toujours cap droit sur Nelson ! Si j'avais eu la grand' voile dehors, j'étais bon pour empanner dans le grain, et ça m'a un peu passé ce truc-là, je dois reconnaitre.

Le grain aussi, il est passé ; laissant derrière lui un astre solaire magicien qui transforme en milliers de diamant les perles de pluie qui ont paré Catafjord comme un tord-héros. Par contre, on se traine à 7,5 nœuds à présent ; j'aime pas trop ça…. Allez, un peu de courage, encore une ou deux minutes de manipulation de la drisse et de la bosse de bretelles, et revoici la cathédrale de toile hissée haut, et les neuf nœuds retrouvés.

Mais déjà, les merveilles à voiles, réunies dans la baie, laissent apparaitre leurs espars démesurés, évoquant, de loin, un monstrueux porc-épique, tapi derrière la jetée.

Ultimes tours de manivelles et la toile est prestement remisée. Quand je repense à certaines rentrées de spi…..c'était pas la même limonade !!!

L'ancre solidement enfouie dans du brave sable anglais de bonne tenue, je range ma table à cartes et calcule la moyenne sur ce trajet de quelques heures : 9,7 nœuds. Sympa, je trouve.

Pleejonk : c'est portant facile….