"T'aimes t'y ça toi, marcher pieds nus dans la neige?" questionne notre Charly des glaces. J'ignorais que l'on put aimer se geler les arpions de cette manière.....Admettons; après deux ti'punchs; pour faire plaisir à Charly. Passées environ huit secondes, retour au chalet à vitesse supersonique ta mère, et là, ça fait un mal de chien de traineau en se réchauffant. Bon, ok, passé "un certain temps" advient enfin un court moment de douce félicité; mais, y se paye cher, je trouve. Ceci dit, on est tellement bien dans ce chalet, douillet, silencieux, comme en apesenteur, sous son manteau d'hermine, dégustant notre ti'punch au sirop d'érable devant le feu de bois.

Isa et Charly ne sont pas raisonnables: ils nous gâtent comme des gosses de riche, faisant de notre séjour au pays des trappeurs, une espèce de show féerique à la mode d'Hollywood.

Le chalet, c'est juste pour le ouikène (ouikèned, en anglais); accompagné, on le verra, du kit complet d'activités neigeuses et glaciaires. Le chemin qui y mène grimpe avec une telle pente, sous son mètre de neige, qu'il convient de chausser les raquettes pour le gravir. Et puis, il faut reconnaitre que c'est aussi un plaisir d'entendre crisser la neige immaculée sous nos pas. Bien sûr, on aurait pû monter en motoneige, comme nos vivres et bagages, mais c'est sensiblement moins poilant; surtout en compagnie de nos hôtes.
Charly s'étant séparé, à mon profit, de sa paire de raquettes en bon état, se déplace, en conséquence, avec un squelette souffreteux dont il refera cent fois les fixations avant d'atteindre notre chalet. Nullement découragé, il s'autorise même une figure de "snow-sliding" (ça frime pas mal comme mot ça; mais ici, à Pointe-à-Pitre, j'arrive pas à le placer souvent), dont il ne sort pas forcémment grandi......bah, qu'importe, dans la quiétude de notre abri de bois, un bon vin chaud a tôt fait de mettre en valeur sa sensibilité pré-apéritive, celle-là même avec laquelle il a construit cette réputation en granit qui lui colle aux raquettes en babiche.....
Babiche:
boyau de chevreuil, qui, une fois extrait des entrailles de la bestiole, et dûment séché, sert à confectionner des raquettes de neige, ou des assises de sièges, plus, sans doute, quelques autres babioles dont je n'ai pas eu connaissance (préservatif, peut-être....): le trappeur est ingénieux. En même temps, pour vivre dans un pays où des températures de moins 25 à moins 30 degrés sont courantes, l'ingéniosité est un ingrédient de base pour qui aimerait bien passer l'hiver.

Autre exemple, de créativité glaciaire: la pêche blanche.
Au sortir de la crêperie où un breton décongelé a posé son "bilic" depuis quelques années, la confortable Subaru nous mène sur la banquise, par une rampe d'accès hivernale, nous offrant ainsi accès à un vieux fantasme humain: rouler sur l'eau. Nous sommes sur le Fjord du Saguenay, pays de naissance de ce bon vieux Catafjord, et la mer est solide sur une bonne trentaine de centimètres d'épaisseur. Depuis belle lurette, ce phénomène a été mis à profit par l'infatigable et intrépide trappeur, pour y poser ce mode d'habitat éphémère, peu répandu dans nos latitudes tropicales: la cabane à pêche A ne pas confondre avec un autre type de cabane, à pêche aussi, mais située au fond du jardin....
La cabane à pêche dont au sujet de laquelle je vous entretien présentement a vocation à mettre en oeuvre cette science inexacte qui tente de maitriser la pulsion, le plus souvent involontaire, du poisson qui vient à la rencontre de son viel ami de toujours: le pêcheur. La cabane à pêche commune du Saguenay, bien qu'empreinte encore d'une certaine rusticité, n'en jouit pas moins d'un minimum, de confort: à commencer par le poële à bois. Le poële à bois et aucune caravane ne passe.....sorry.
Revenons à nos morues (comme disaient les jeunes mariés). Jouxtant la source de chaleur buchivore autant qu'exothermique, sise à l'intérieur de l'établissement, quatre orifices d'une trentaine de centimètres de diamètres, pratiqués dans la banquise aux quatre coins de la pièce, permettent de se tremper la ligne, à fin de chopper, pourquoi pas justement, une belle morue. Quand on entre, on pense d'abord que c'est des chiottes à l'ancienne; mais, tout de même, quatre dans dix mètres-carrés!
Quatre personnes, quatre trous. Un peu le même principe que la monogamie, mais là n'est pas la question. La question, c'est:"alors, question pouascaille, caisse ça donne?". Je ne vous dirais pas que ça donne "grâve", cependant, l'honneur est soft..... le seul terre-neuvas authentique de la bande s'est vu gratifier d'un beau flétan (turbo) qui s'est fait un point d'honneur à figurer en bonne place au souper du soir. C'est mon grand'père qu'a dû être content du haut de son paradis.

Nos hôtes ayant définitivement décidé de nous offrir un feu d'artifice de sensations nouvelles, l'attraction du jour s'appelle: traineau à chiens. Pour être inhabituel, c'est inhabituel; et déroutant comme moyen de locomotion. Surtout quand les bestioles, poilues comme des ours, décident, sans aucune consultation préalable, de se barrer au milieu des bois, faisant fi des consignes laissées par le boss, Ewenn, un breton sédantarisé là pour les beaux yeux de sa blonde. Ewenn the dogs go marchin' in......On est là bien loin des engins mécaniques, en général pourvus des accessoires nécessaires à la maitrise de la vitesse et de la direction. Le traineau à chiens est nettement plus aléatoire comme traction avant. Les quatre malamutes s'autorisent quelques digressions canines, au gré de leur humeur, passant du stop-caca inopiné au" grand galop pour se défouler" sans le moindresigne précurseur: pas de clignotant, ni de feu arrière, ni de klaxon, ni quoi ni caisse. Le seul organe de pilotage accessible au pauvre bipède campé derrière la charrette est une éspèce de soc de charrue articulé faisant office de frein dès lors qu'on monte debout dessus.
La température extérieure est de moins 24°c; c'est "fret" comme on dit icite......mais ce n'est pas tout, car il vente aujourd'hui, ce qui nous donne l'occasion de faire connaissance avec cette notion hallucinatoire de "température ressentie", laquelle prend en considération les effets du vent. Pour l'instant, cette fameuse température qu'on aimerait mieux ne pas ressentir si c'était possible, se situe à -44°c!!!!! J'en suis encore fébrile. Comment en suis-je arrivé à me balader un Dimanche aprèm, ma blonde enfouie dans un sarcophage en plastique monté sur deux planches, tracté par un quattuor de nounours à quattre pattes qui s'en foutent complètement de ce que je leur dis, avec le bout de mon pif à moins 44? Et que l'on ne vienne pas me parler de picrate pour expliquer le rougeoiement de mon tarbouif.
Y fait plus chaud dans le congélateur!

La maison de nos amis est située sur la berge nord du Saint Laurent. Dès le lever du jour, le fleuve charrie ses glaçons, pantagruélique soupe polaire aux croutons chantilly. C'est vrai que les paysages glacés sont d'une saisissante beauté. Mes origines Saint Pierraises m'en ont conféré une sotte aversion, qui se dissoudra peut-être avec le temps, dans l'indolence tropicale où j'aime à me vautrer.

Pour goûter pleinement aux plaisir d'une immersion complète dans ces paysages de père Noël, il faut s'astreindre, avant de pousser l'huis, à une préparation méticuleuse. Elle consiste à empiler méthodiquement toute une armada d'équipements "anticongélationauboutdecinqminutes". La première fois, on se prendrais volontiers à croire que "ça ira comme ça", au bout de seulement deux ou trois couches; la boulette; de glace et de débutant. Gare à qui ne suit pas scrupuleusement les consignes de l'autochtone: il va inmanquablement se peler durant toute la ballade; même en ville, dans le vieux quartier. Par bonheur, c'est carnaval, et donc on peut s'envoyer un petit gobelet de "Caribou", élixir local qui s'apparente un peu au vin chaud, tout en se ressuscitant le bout des doigts autour d'une cheminée publique, sise entre deux statues de glace. Convivialité assurée.
Autre source de réchauffement climatique personnel: on rentre dans un magasin de souvenirs, on dit boujour à la dame, on fait trois fois le tour des rayons et on ressort tiédi! c'est super!

Le canadien fait montre d'une créativité abominable pour concevoir toutes sortes d'objets en glace (peut-être devrais-je me pencher sur l'opportunité de créer un Speejonk en glace....).
Parfaitement incroyable est l'hotel de glace (faut bien articulier quand on en parle sinon l'auditeur peut comprendre "l'hotel dégueulasse", alors que non).
Cet établissement, qui affiche insolemment un taux de remplissage de 98%!, est construit uniquement en neige et en glace; même les vécés......Non, là je déconne; mais tout le reste n'est constitué que d'eau froide: les murs, les sols, les toits, mais également le bar, les lits, et toute la déco fort artistiquement sculptée. Bon, en cours de visite, au bout d'un moment, on ne se rend plus très bien compte, à cause de l'engourdissement progressif du cerveau..... c'est un signal: il est temps de se rendre au bar, pour déguster un petit coqueteilleleu, dans un verre.....en glace.
Quand on sort de cet univers translucide et transis, un simple bout de bois merdique semble un objet merveilleux.
Evidemment, aux premières douceurs du printemps, l'affaire part en eau de bouddah: une misérable flaque de flotte succède à tout le faste hivernal, prouvant encore, s'il en était besoin, qu'on est bien peu de chose, surtout quand on est un glaçon.... La garantie décennale n'a pas encore droit de cité dans cet univers impitoyable où l'addition ne se paye ni avec des chèques en bois, ni avec des cartes bancaires en glace, mais bien avec de solides éspèces sonnantes et très touchantes dont le montant s'élèvera à un niveau compris entre 150 et 1500 euros la nuitée, selon la formule choisie....oups!

Notre délicieux séjour s'achèvera par une petite séance de pilotage de la "moisonneuse/batteuse canon à neige" avec lequel Charly me confie la délicate mission de déneiger les abords de sa maison, en prévision des prochaines chutes de neige. Un peu plus commode que le traineau à chiens, mais j'aime mieux le karting, quand même.

Sinon, question apéro, j'aimerais vous soumettre une petite originalité, que je n'ai pas testée, mais à laquelle je crois beaucoup, l'ayant vu passer dans ma tête lors d'une contemplation du St Laurent, qui exhalait au petit jour ses volutes diaphanes d'entre les growlers:
Des olives, fourrées au chocolat, et marinées dans l'huile de foie de morue. Alors?
On en reparle....

Isa et Charly ont bouclé un tour du monde à bord de leur Lagoon 42 Ushuaïa.
Nous avons croisé leur route en Namibie.
Une banale anecdote safranée aura suffit à sceller une amitiée en résine epoxy armée de fibre de carbone et toute cette sorte de choses.
Ayant eu le talent de se mettre à l'abri du besoin, ils ont conçu "Village monde", une ONG dont au sujet de laquelle je ne vous dirais rien rien du tout. Si ça vous branche, vous z'avez qu'à aller voir sur internet et pis c'est tout.

Mais je vous le conseille vivement.