La page se tourne. Pour lui, comme pour nous. Une tranche de vie de dix années. Catafjord a eu le talent de nous emmener parcourir notre planète à travers ses océans dans des conditions formidables, quasiment inespérées ! Et maintenant, il vient de séduire une nouvelle équipe, qui, bien que ne le connaissant peu l'aime déjà beaucoup. Encore une histoire d'amour… C'est tout lui, ça ! Pas d'esbroufe, pas de tape à l'œil. De l'efficace. Du costaud. De l'authentique. Du qu'on peut y compter dessus. C'est comme ça qu'on l'apprécie.

Depuis que ses nouveaux propriétaires l'ont adopté, il n'a de cesse de nous éblouir, de nous régaler. Il veut nous offrir encore du bon temps. Jusqu'à la dernière seconde. Nos ultimes moments de vie commune sont une suite de joyaux de la navigation à voile. C'est un veinard Catafjord, comme nous.

Ainsi, le ciel, le vent, la mer, se sont associés pour faire de ces quelques jours de convoyage une croisière « de rêve ». Pas le rêve du vacancier, tout en farniente à l'escale, apéros et festoiements variés. Non. Je parle de navigation de rêve ! Avec toute la panoplie d'accessoires qui comble d'aise le marin et son navire. Le tout ponctué, au soir, par le sourire bienveillant de la lune.

Tranquillement assis comme un pacha dans la timonerie de « Cataf », j'écris ces quelques lignes. Coup d'œil aux instruments : treize nœuds de vent par le travers… Le GPS calcule notre vitesse et égrène ses résultats, chaque seconde : 9,8…9,9…10,5…10,7…10,3…9,7… Malou est dans le carré, attablée devant son ordinateur, à peaufiner la couverture de la version « papier » de « Mamilou et grand-père en short autour du monde ». Notre « poursuivant » de ce matin, un joli Catana qui a quitté le mouillage de Bequia en même temps que nous, a presque disparu derrière, dissous dans l'horizon diaphane. Union grossit devant nous, cependant que les Grenadines défilent à notre vent. Nous n'y ferons aucune escale. Nous sommes en convoyage. Pas en vacances.

Déjà, hier, ce sacré « Cataf » n'a pas pu s'empêcher de faire son malin en collant une pâtée à un élégant catamaran allemand, léger et racé, que son propriétaire menait durement, ayant probablement dans l'idée de nous phagocyter, gentiment, avec le sourire… Lorsqu'il est arrivé à Bequia, Catafjord était tout bien rangé, et l'apéro-sunset était déjà largement entamé. Nous avions quitté Fort-de-France à 6h30, et avons toujours conservé un ris dans l'artimon, histoire de le préserver car il n'est plus si jeune. Et je ne parle pas des berniques qui ont commencé à coloniser les carènes...

Que du bonheur ! La mer est caressante à souhait, sans agressivité aucune, de ce bleu riant et joyeux qu'elle offre au regard lorsque le ciel est son miroir. Le grand chapeau céleste, lui aussi fait son gentil pour donner un air de fête à ce passage de témoin. Quelques dociles cumulus épars le sauvent d'une monotonie qui ne le guette jamais, pourtant, tant ses nuances sont délicates et infinies. C'est dans ce décor de paradis que nous parcourons les quelques milles qui nos séparent de Grenade, où Catafjord va prendre ses quartiers d'hiver. Posé sur son terre-plein, entouré d'autres vagabonds comme lui et sérieusement bridé au sol, il attendra quelques mois la venue de ses nouveaux propriétaires, jeunes, beaux talentueux, courageux… Il va être bichonné le pépère !

De notre coté, nous changeons de statut, passant de ADM à SDT (Avec domicile mobile à sans domicile du tout…). Une partie de notre énergie sera bientôt consacrée à la recherche et l'acquisition de notre prochain DM. Lequel puisera sa capacité de mobilité dans des machines et non plus dans des voiles… Pour autant, je suis convaincu que les opportunités de naviguer à la voile ne manqueront pas.

Mercredi 24 Août. La lente et inexorable séparation d'avec ce brave Catafjord franchit une nouvelle étape. Suspendu dans les sangles de la grosse araignée de métal qui l'a sorti de sa mer, une équipe s'affaire à mettre en place les plots de calage sur lesquels il va reposer avant de repartir à l'aventure, avec son nouvel équipage, l'année prochaine.

Encore quelques jours de vie commune, que nous occupons à le préparer, à le mettre en configuration, pour que ces semaines de solitude qui l'attendent ne l'affectent pas trop. C'est bien le moins que l'on puisse faire pour le remercier de ces bons et loyaux services qu'il aura su nous rendre jusqu'à la dernière seconde. Jusqu'à cet ultime demi-tour qu'il a fallu exécuter, contre toute attente, pour s'introduire dans la darse du travlift en marche arrière.

Nous lui souhaitons encore de bien belles navigations. Puisse-t-il être l'objet des plus grands soins et des plus vives attentions capables de lui assurer vigueur et vélocité pendant encore de nombreuses années, pour le plus grand plaisir de son équipage et de ses invités.